Il est temps pour l’Europe de s’ouvrir à l’islam
Jack Straw, le ministre britannique des Affaires étrangères, a affirmé à juste titre que l’ouverture des négociations avec son homologue turc Abdullah Gül était un moment historique. C’est le début, le tout début même, de la concrétisation d’une promesse faite il y a quarante ans, lorsque les six premiers membres du Marché commun déclaraient sans équivoque : « La Turquie fait partie de l’Europe… C’est une réalité géographique autant qu’une évidence historique. »
Avant même que l’encre du document marquant le début des négociations ait eu le temps de sécher, un ou deux autres pays avaient déjà rejoint l’Autriche, y allant de leurs « si », « mais » et « peut-être ». La France de Jacques Chirac a déclaré qu’il n’était pas certain que les négociations aboutiraient à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE). Ailleurs, on chuchotait qu’Ankara pourrait être déjà disqualifié sur plusieurs points techniques. C’est ce double langage consistant à dire une chose et à en appliquer une autre bien différente qui ternit l’image de l’Union.
Bien sûr, il y aura des problèmes à résoudre avant que la Turquie puisse adhérer. De gros problèmes. Le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan avance à grands pas vers ce pluralisme démocratique qu’exige à raison l’UE, mais le respect de la liberté et des lois doit être ancré plus fortement dans la culture politique turque. Il y a également d’énormes obstacles économiques.
Nous ne pouvons attendre des autres dirigeants européens qu’ils ne tiennent pas compte des craintes de leur électorat. Mais nous pouvons exiger d’eux qu’ils reconnaissent leur part de responsabilité dans ces craintes. Leurs réticences à expliquer les bénéfices d’une entrée turque ou les inconvénients de son exclusion contribuent à l’inquiétude populaire.
Parce que, aussi importantes soient-elles en soi, les négociations avec la Turquie amènent l’Europe à affronter la question qu’elle élude depuis quelques années : peut-elle s’entendre avec l’islam ? Et pas seulement avec l’islam qui se trouve à ses frontières, mais avec la foi que partagent près de 15 millions de ses propres citoyens.
Depuis que le Traité constitutionnel a été enterré du fait des électeurs français et néerlandais, des diplomates et hommes politiques de premier rang s’inquiètent de l’absence d’une vision européenne claire. Les choses étaient simples lorsque l’Union était un club de riches qui oeuvrait d’abord à la paix et à la prospérité de la partie occidentale du continent. Les électeurs comprenaient ces ambitions. L’effondrement du communisme et le chaos de la mondialisation ont ébranlé ces certitudes. L’Union européenne doit admettre que le monde a changé et expliquer cela à ses peuples.
Chris Patten résume la situation dans un excellent livre* paru récemment : « La réconciliation franco-allemande a été une nécessaire et admirable réussite européenne du XXe siècle, affirme-t-il. Réconcilier l’Occident et le monde musulman, avec une Europe jouant un rôle charnière, est le grand chantier du XXIe siècle. »
Si l’on en doutait, il suffirait, pour s’en convaincre, de regarder une carte géographique ou de visiter l’une des grandes villes du continent. L’Europe se trouve à la lisière de l’islam. La Turquie constitue un pont avec une partie du Moyen-Orient ; les pays du Sud méditerranéen sont la porte d’accès à l’autre partie. Aucune promesse d’adhésion n’a été faite par l’Europe à ses voisins du Maghreb. Mais, comme vous le dira n’importe quel Italien, Espagnol ou Français, cela ne diminue en rien leur importance stratégique.
Jusque-là, le bilan n’est guère encourageant. Comme le fait remarquer Chris Patten, l’UE a appuyé pendant bon nombre d’années le développement politique et économique de ces pays. Mais, en dépit de ses vertus réelles, ce qu’on appelle le Processus de Barcelone n’a jamais retenu l’attention politique des dirigeants européens. Il faut que cela change.
Les États ont tous eu une attitude ambivalente avec leur population musulmane. La lutte contre le djihad terroriste a trop souvent mélangé les mesures sécuritaires répressives et le désarroi moral. En Grande-Bretagne, par exemple, les politiques et les médias se sont précipités pour condamner le multiculturalisme et ont tenté de redéfinir le concept d’« anglicité ». Ces contorsions ont fait l’impasse sur la distinction essentielle entre intégration et assimilation. L’intégration suppose le respect mutuel et l’adaptation. Loin d’être figée, l’anglicité n’est pas gravée dans le marbre.
Il n’y a pas, bien sûr, de solutions simples à ces problèmes. L’entrée de la Turquie exigera une énorme volonté politique de part et d’autre. Exporter la démocratie et la prospérité au Sud est un chantier pour les décennies à venir. De même, grand est l’effort à faire pour que les musulmans se sentent chez eux dans les grandes villes d’Europe.
* Not Quite the Diplomat : Home Truths About World Affairs, Allen Lane.
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