Fin de règne ?

De nouveau, le président Idriss Déby est confronté à une mutinerie. Et, de nouveau, celle-ci émane de son propre camp.

Publié le 13 novembre 2005 Lecture : 6 minutes.

Cette fois, c’est sérieux. Les officiers et soldats tchadiens qui ont déserté début octobre et se sont retranchés derrière la frontière soudanaise menacent vraiment le régime. Comme le 16 mai 2004, ce sont des Zaghawas, des membres de l’ethnie du président Idriss Déby. L’an dernier, ils ont tenté de l’écarter du pouvoir – et peut-être même de l’assassiner à N’Djamena. L’affaire s’est terminée par un arrangement secret entre Zaghawas. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus compliqué.
Les mutins – plusieurs centaines d’hommes – vont être difficiles à déloger de leur base. Au début, ils se sont regroupés à l’est du Tchad, près d’Adré. Le 21 octobre, l’armée loyaliste les a encerclés. À présent, ils sont repliés au Soudan, dans une zone montagneuse. « Chez nous, le pouvoir vient toujours de l’est », disent les Tchadiens. De fait, en 1982, c’est à partir du Soudan que Hissein Habré a mené son offensive victorieuse contre Goukouni Weddeye. En 1990, c’est encore le Soudan qui a servi de tremplin aux troupes d’Idriss Déby contre Hissein Habré. « Le Soudan, c’est la rampe de lancement », affirme un expert militaire français.
Sur cette rampe, les déserteurs du mois d’octobre dernier ont placé une « fusée », le Scud, le Socle pour le changement, l’unité nationale et la démocratie. Une allusion malicieuse aux missiles envoyés sur Israël par Saddam Hussein pendant la première guerre du Golfe, en 1991. À la différence de l’an dernier, les mutins annoncent donc la couleur. Leurs revendications ? « Le départ du dictateur Idriss Déby. »
À première vue, cette rébellion est surprenante. Pourquoi les membres de l’ethnie au pouvoir, a priori les privilégiés du régime, se révoltent-ils ? Quand on connaît l’hostilité de beaucoup de Tchadiens à l’égard des Zaghawas, ce mouvement a quelque chose de suicidaire. À moins qu’il ne traduise un profond malaise dans la communauté zaghawa. Reste à identifier celui-ci. Pas facile dans une société très fermée où les conflits se règlent d’habitude à huis clos…
La première explication de la crise a longtemps été la guerre au Darfour. Les officiers et soldats zaghawas du Tchad n’accepteraient pas que leur gouvernement laisse tomber leurs frères zaghawas du Darfour au nom des bonnes relations entre N’Djamena et Khartoum. L’explication est moins convaincante que l’an dernier. D’abord, parce que les combats au Soudan ont baissé d’intensité. Ensuite, parce que le nouveau Scud ne revendique aucun soutien aux mouvements rebelles du Darfour. « Nous respectons la souveraineté du Soudan et espérons qu’une table ronde ramènera la paix au Darfour », confie l’un des chefs de file des déserteurs tchadiens, Yaya Dillo Djérou. Visiblement, le Scud ne veut surtout pas froisser le gouvernement soudanais. Il a trop besoin de sa neutralité bienveillante pour concentrer le tir sur son objectif principal : Idriss Déby lui-même.
La vraie cause du rififi chez les Zaghawas est sans doute là. Dans le mode de gouvernement du Tchad. Rien ne va plus entre Idriss Déby et la plupart de ceux qui l’ont fait roi il y a quinze ans. Jusqu’au tournant du siècle, il existait une certaine collégialité à la tête de l’État tchadien. Plus maintenant. « Autrefois, les Zaghawas se réunissaient régulièrement autour du chef et débattaient des nominations aux postes civils et militaires ou des alliances politiques à venir, dit un connaisseur. Mais, aujourd’hui, Idriss Déby impose un pouvoir personnel. »
La déchirure date de novembre 2003. Devant le Mouvement patriotique du salut (MPS, au pouvoir) réuni en congrès, le chef de l’État évoque pour la première fois l’idée de faire réviser la Constitution. Objectif : se présenter une troisième fois en 2006. Pour beaucoup, c’est la présidence à vie, et c’est inacceptable. L’ancien ministre de l’Intérieur Ahmat Soubiane fait défection et se réfugie aux États-Unis. Puis c’est la tentative de coup de force de mai 2004. Elle ne donne lieu à aucune arrestation, mais elle laisse des traces. Plusieurs membres de l’état-major sont limogés. Surtout, deux hommes clés de l’entourage présidentiel sont écartés. Tom Herdimi, coordinateur du projet pétrolier, et son frère Timane Herdimi, patron de la Cotontchad. En juin dernier, ils boudent le référendum sur la révision constitutionnelle. En septembre, Idriss Déby les invite à revenir aux affaires. Ils déclinent l’offre. Quelques jours plus tard, la mutinerie éclate.
Les rumeurs sur l’état de santé du chef n’arrangent rien. Depuis juillet 2003, beaucoup de Tchadiens se demandent pourquoi leur président va si souvent se faire soigner à Paris. De son propre aveu, Idriss Déby souffre d’une colopathie (J.A.I. n° 2229, 28 septembre 2003). Jusque dans son entourage, certains se demandent si le chef ne prépare pas son fils Brahim, 28 ans. Au cas où… D’un revers de la main, le chef de l’État tchadien balaie « ces ragots », comme il dit. « Brahim est trop jeune pour faire de la politique. D’ailleurs, je lui ai conseillé de reprendre ses études en Europe ou en Amérique du Nord. » Mais les Tchadiens continuent de s’interroger.
Aujourd’hui, force est de constater que la base ethnique d’Idriss Déby s’est réduite comme peau de chagrin. À son arrivée au pouvoir il y a quinze ans, toute la communauté zaghawa le soutenait. Au fil des ans, cette base s’est rétrécie au clan des Bideyat. À présent, nombre d’observateurs estiment que son cercle se limite au sous-clan des Borogat, implantés dans l’Ennedi, au nord-est du Tchad. Commentaire d’une source autorisée à Paris : « Si la moitié des Zaghawas est contre lui, il est sûr que la position d’Idriss Déby s’effrite. » Réflexion de l’opposant tchadien Ibni Oumar Mahamat Saleh : « Quand vous construisez un système tribal, un jour ou l’autre vous en êtes victime. »
Alors, est-ce la fin de règne ? Pas si sûr. Certes, il y a un signe inquiétant pour le régime. Fin octobre, près d’Adré, la Garde républicaine a refusé de tirer sur les rebelles. « Ce sont nos frères », ont lancé les soldats. Du coup, le chef de l’État a dissous celle-ci. Du moins sur le papier. Et beaucoup doutent à présent de la capacité du président à se faire obéir par sa garde. Du côté rebelle, personne n’a ouvert le feu non plus. Pour les mêmes raisons. Chez les Zaghawas, toute mort violente déclenche un cycle de vendettas. Le premier qui tire prend une énorme responsabilité. Pour l’heure, les deux camps s’observent sur l’air « je te tiens, tu me tiens par la barbichette ».
Autre atout pour Idriss Déby, les rebelles n’ont pas de figure de proue. Du moins pour l’instant. Le « président du collège révolutionnaire » du Scud, Yaya Dillo Djérou, est un jeune ingénieur zaghawa de 31 ans. Diplômé en génie électrique de l’université d’Ottawa au Canada, il n’est rentré au Tchad que l’an dernier. « Il n’a pas fini de digérer ses McDo », dit méchamment un proche d’Idriss Déby. Plus sérieusement, ce « collège révolutionnaire » regroupe une douzaine de membres, moitié civils, moitié militaires. À part leur président, ils gardent tous l’anonymat. Les civils ne sont pas au maquis. Quant aux militaires, ils viennent des garnisons de l’est du Tchad. Un seul nom émerge pour l’instant. Celui du lieutenant-colonel Daoud Ali. Il commandait l’escadron blindé d’Adré. Il était choyé par le régime. Pourtant, il a déserté. Mais il n’a pu partir avec ses blindés, car le terrain où s’est retranché le Scud est trop montagneux.
S’il n’y a pas confrontation, Idriss Déby va donc jouer le pourrissement et le ralliement individuel des mutins. Ce n’est pas gagné. En octobre dernier, il a téléguidé une première médiation menée par son demi-frère Daoussa Déby. Elle a échoué. « Il lui reste une autre porte de sortie », dit l’opposant Acheikh Ibn-Oumar. « C’est une table ronde avec toute l’opposition pour mettre en place un gouvernement de transition et préparer des élections libres. Mais je n’y crois guère. Aujourd’hui, il est plutôt dans l’état d’esprit : après moi, le déluge. »

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