Si Nehru voyait ça !
Publié le 13 août 2007 Lecture : 3 minutes.
«Il y a bien longtemps, nous avons pris rendez-vous avec le destin et voici le moment venu. [] Lorsque sonnera minuit, tandis que le monde dormira, l’Inde s’éveillera à la vie et à la liberté. » C’est par ces mots que, le 15 août 1947, Jawaharlal Nehru annonça à ses compatriotes la fin de la colonisation et la naissance de l’Inde indépendante. Soixante ans après, on mesure le chemin parcouru.
L’Inde partait de loin. S’il est incontestable que les Britanniques avaient réussi à unifier le sous-continent, dont ils avaient peu à peu pris possession tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, ils laissaient derrière eux un pays exsangue, épuisé par deux cents ans d’exploitation féroce. Leur départ se traduisit, de surcroît, pas un partage de leur empire en deux entités, l’une à majorité hindoue (l’Inde), l’autre à majorité musulmane (le Pakistan). Les répercussions économiques de cette partition furent absolument désastreuses dans toute la région. Aussi, l’histoire de l’Inde moderne est-elle, en grande partie, celle de la construction d’un modèle économique viable, autosuffisant et capable de répondre aux besoins de son innombrable population : 400 millions d’habitants au sortir de la colonisation, plus de 1 milliard aujourd’hui, soit le sixième de population mondiale.
Ce développement économique s’est fait en deux étapes. La première, calquée sur le modèle des économies socialistes et planifiées, dont Nehru était un fervent admirateur, permit au pays de se doter d’industries lourdes et de parvenir à l’autosuffisance alimentaire. Mais ce développement en vase clos, géré par une bureaucratie pléthorique et corrompue, finit par paralyser l’économie. Au tournant des années 1990, pour échapper à la menace d’une inéluctable banqueroute, les dirigeants furent contraints d’opter pour la libéralisation.
Émergence d’entreprises compétitives dans des secteurs comme l’informatique, la pharmacie ou l’acier, taux de croissance économique records, montée en puissance d’une classe moyenne forte d’au moins 150 millions de personnes Tels sont les principaux résultats de cette deuxième phase du développement de l’économie indienne, aujourd’hui résolument tournée vers l’extérieur. Revers de la médaille, soixante ans après l’indépendance, plus de la moitié de la population vit encore en dessous du seuil de pauvreté. La promesse faite par Nehru de « sécher toutes les larmes de tous les yeux » n’a pas été tenue.
De l’aveu de tous les observateurs, les principaux acquis de l’Inde indépendante sont politiques et institutionnels. Le fait que la démocratie ait réussi à s’imposer dans cette région qui compte parmi les plus inégalitaires au monde relève du miracle. Il faut en rendre grâce aux pères fondateurs, tous occidentalisés et nourris aux valeurs des Lumières. Et à Nehru en premier lieu, qui, tout en gouvernant le pays d’une main de fer pendant deux décennies, dota l’État indien d’institutions fortes et de stricts garde-fous contre toute tentation autocratique. À en croire la légende, il faisait publier dans la presse, sous pseudonyme, des articles critiquant sa propre pratique solitaire du pouvoir
Pour autant, l’enracinement progressif de la démocratie et de son corollaire, la laïcité, n’a pas été un long fleuve tranquille. La première a été mise à mal par l’état d’urgence décrété, entre 1975 et 1977, par Indira Gandhi. Et la seconde, par la montée en puissance des intégristes hindouistes, dont l’influence sur la classe moyenne menace, à terme, le fragile équilibre social.
Parallèlement, la démocratie indienne est en train de transformer en profondeur les rapports entre les hommes et les femmes (élection récente d’une femme à la présidence de l’Union), mais aussi entre les hautes et les basses castes. L’arrivée au pouvoir, il y a quelques mois, dans l’Uttar Pradesh, le plus grand État du pays, d’une coalition dirigée par le parti des basses castes, en dit sans doute plus long sur l’Inde moderne que tous les triomphes technologiques et économiques.
