Schizophrénie télévisuelle

Publié le 13 août 2007 Lecture : 2 minutes.

J’ai attendu les vacances, les soirées à ne rien faire, pour m’acheter une parabole. But de la dépense, me brancher sur le monde arabe, via câble et satellites, question de renouer avec la tribu, fût-ce à distance. Maman ! Qu’est-ce que j’ai découvert ! Le plus grand spectacle de schizophrénie des temps modernes. Suffisait de zapper : entre la culture de la mort et l’éloge de la débauche, mes frères arabes balancent !
Vous ne me croyez pas ? Faites un tour sur les qanet – non, ce ne sont pas des canettes de bière, je sais, il fait chaud, mais le mot signifie « chaîne » en arabe. Prenez une ou deux libanaises pour commencer, et vous voilà dans le plus grand cabaret de la Oumma : des filles, que des filles, reliftées et botoxées, tellement belles qu’elles paraissent irréelles. Surfez sur les Mazzika et les Rotana, clips à profusion, idylles romantiques, mais – et c’est la touche moderne -, racontées à renfort de gestes lascifs, de minauderies de starlettes qui se dandinent en petite tenue quand elles ne miment pas l’amour en chevauchant des étalons arabes – ne paniquez pas !

Pour vous dérincer les yeux, appuyez sur Al-Jazira, ici, c’est le rayon information et propagande voilée, servies par des animateurs à la langue acérée comme des épées, mixant des journaux au goût de la rue arabe, oscillant entre l’effort de reproduire objectivement les rumeurs du monde et le plaisir de distiller les menaces des lieutenants de Ben Laden.
Calez-vous maintenant sur Iqra et admirez barbes et voiles. Surtout, concentrez-vous sur les fatwas, nouveaux manuels de vie du croyant lambda. Écoutez le monsieur en keffieh qui indique le plus court chemin vers le paradis, vante les remèdes anciens, fulmine contre les murs dissolues de l’Occident, recommande de fuir la musique et autres péchés. Si vous êtes du genre obéissant, il ne vous reste plus qu’à déserter la maison pour élire domicile dans la mosquée, faire don de votre dernier pantalon, à moins d’exploser le chrétien du coin qui s’est oublié en terre d’islam. Toutefois, avant de quitter cette salle d’attente d’un Dieu qu’on force à jouer le rôle de simple comptable de péchés, jetez un coup d’il sur une station qui a tout de l’apocalypse, où l’on passe en boucle attentats et explosions sur fond de sourates du Coran.

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À ce stade, me suis-je dit, pour avoir regardé Rotana davantage qu’Iqra, je suis punie et me retrouve déjà en plein enfer. Heureusement qu’un ami, intellectuel à ses heures, m’a rassurée. Lorsque je lui ai demandé vers quelle chaîne me tourner, à quel câble me vouer, où situer les miens, dans le monde ou hors de l’Histoire, il a balancé : « Tu n’as rien compris : ce sont les mêmes qui financent toutes ces chaînes, ils dénudent ici pour mieux couvrir là-bas, ils encouragent le vice pour mieux convaincre de la vertu. »
C’est le début de mes vacances, je ne suis pas payée pour réfléchir. Il n’empêche : depuis que j’ai la parabole, j’ai un sommeil très agité, rempli de ballets licencieux sur fond de psalmodies, de voiles couvrant mais totalement transparents, de gars en barbe qui s’éclatent devant des canettes, des vraies cette fois.

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