Retour en grâce et grincement de dents

Publié le 13 août 2007 Lecture : 5 minutes.

Depuis que, début août, Abdoulaye Wade s’est envolé pour l’Europe, où il prend quelques jours de repos, rumeurs et conjectures vont bon train au Sénégal. Dans les salons dakarois, les vacances du chef de l’État suscitent des commentaires sans fin, tandis que les journaux rivalisent de manchettes « exclusives » : « Retour d’Idrissa Seck au PDS et remaniement ministériel à la rentrée » « Wade à Paris et à Genève pour finaliser ses négociations avec Seck » « Wade-Seck : retrouvailles parisiennes »

Après une éclipse de plus de trois ans, le retour en grâce de l’ancien Premier ministre tourne à la saga de l’été – ou plutôt de l’hivernage – depuis que, le 25 juillet, Wade a reçu une délégation de Rewmi, la formation créée par Seck au lendemain de son exclusion du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir). On imagine que, dans le camp présidentiel, cette esquisse de recomposition politique ravive la lutte – un peu prématurée – pour la succession du chef de l’État.
Manifestement, les nombreux adversaires que Seck compte au palais ont été pris au dépourvu. Ils avaient contribué à son départ, ils redoutent aujourd’hui son retour. S’ils s’abstiennent de se démarquer publiquement du chef de l’État, ils multiplient les manuvres en coulisses. Wade ne voulant rien entendre, ils essaient de circonvenir Viviane, son épouse, dont ils ont l’oreille.
Mais les contestations ne sont pas l’apanage du camp présidentiel. Le 30 juillet, les jeunes de Rewmi ont manifesté plus que des réticences à l’idée de rejoindre le PDS avec armes et bagages. Quelques jours plus tard, au cours d’une réunion secrète, les dirigeants du parti (Oumar Sarr, Nguirane Ndiaye, Pape Diouf et quelques autres) se sont interrogés sur le bien-fondé de ces retrouvailles avec le chef de l’État, ont mis en cause la bonne foi de celui-ci et ébauché des stratégies de rechange, au cas où Informé (par qui ?), le leader de Rewmi, qui séjourne en France depuis plusieurs mois, a contacté un à un ses lieutenants pour tenter de les rassurer et de conjurer le spectre de la division.
Pourquoi tant de défiance réciproque ? Parce que beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis le temps où Seck déclarait : « Entre Wade et moi, il n’y a pas de place pour une feuille de papier à cigarette. » Limogé de la primature en avril 2004, puis exclu du PDS, puis incarcéré de juillet 2005 à février 2006 sous l’accusation de malversations financières, il a connu, lui et ses proches, une dure traversée du désert. Pour le remplacer au sein du parti et de l’appareil d’État, un tandem constitué de Macky Sall, son successeur à la primature, et de Karim Wade, le fils et influent conseiller du président, a été mis en place.

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Longtemps, les deux hommes ont été très proches. Ils se fréquentaient assidûment et regardaient des films ensemble, le week-end. Ils ont aujourd’hui pris leurs distances, comme en témoigne leur poignée de main furtive, le 21 juillet, lors des obsèques de Moustapha Wade, le frère aîné du chef de l’État.
Début août, un de leurs amis communs, journaliste dans la presse audiovisuelle panafricaine, a entrepris de les réconcilier. « J’aurai du mal à renouer avec Macky tant qu’il gardera auprès de lui les plus extrémistes de ses collaborateurs », lui a signifié Karim, en citant des noms. Réponse de l’ancien Premier ministre, aujourd’hui président de l’Assemblée nationale : « Il est normal que mes proches me défendent contre les agressions incessantes de ceux de Karim. » Bref, la médiation a échoué. Quelque temps auparavant, une tentative analogue menée conjointement par Mahmoud Saleh, conseiller politique officieux de Macky, et Cheikh Diallo, conseiller en communication à l’Agence nationale pour l’organisation de la conférence islamique (Anoci), que dirige Karim, avait connu le même sort.

Estimant avoir été injustement écarté de la primature, Macky Sall, qui fut le directeur de la campagne présidentielle de Wade, en février, puis tête de liste de son parti aux législatives, en juin, s’entoure à l’Assemblée d’une véritable garde rapprochée. La plupart des vice-présidents (Aïda Mbodj, Abdou Fall, Aliou Sow) lui sont tout dévoués. Il fait appel à des spécialistes de la communication comme Racine Talla, directeur du Service national de l’information et de l’éducation pour la santé, et le journaliste Alioune Fall, directeur de publication du Devoir. Surtout, il réfléchit à la conduite à tenir après l’éviction de ses partisans (Serigne Mboup, Alioune Niang, Malick Ndiaye, Cheikh Tidiane Touré) d’une série de postes stratégiques au sein de l’appareil d’État. S’étant plaint auprès du chef de l’État de cette « démackysation », il n’a obtenu que cette seule réponse : « On dit démackyllage, et non démackysation. »
S’il encaisse les coups sans broncher, l’enfant de Fatick, son fief au cur du pays sérère, se bat par journaux et réseaux interposés. Il a son agenda et, soucieux de ménager ses forces, n’envisage pas dans l’immédiat d’engager un combat frontal. Sa hantise, c’est la constitution d’un tandem Karim Wade-Idrissa Seck, qui l’isolerait un peu plus. Il n’est pas interdit de penser que ce cas de figure est sérieusement envisagé par le chef de l’État, qui a 81 ans, dans la perspective de sa succession. Convaincre son « fils spirituel », qui estime avoir été injustement écarté au profit du fils biologique, de rentrer « à la maison » ? L’exercice n’est pas sans risque
Abdoulaye Wade a-t-il vraiment l’intention de léguer à Karim son fauteuil présidentiel ? En tout cas, il égrène comme à plaisir les indices de nature à le laisser penser. Au cours de la première réunion du comité directeur du PDS après les législatives du 3 juin, il a, par exemple, froidement laissé tomber : « À force d’entendre évoquer le nom de Karim pour ma succession, l’idée m’en vient parfois à l’esprit. »
Comment concilier cette « idée » avec les ambitions d’Idrissa Seck ? Par le biais d’une réforme constitutionnelle instituant l’élection d’un « ticket » président/vice-président, comme aux États-Unis ? L’hypothèse est, dit-on, à l’étude. Par celui d’un retrait de Wade avant la fin de son mandat ? Cela lui permettrait d’influer sur la suite des événements, avec le concours de Pape Diop, le probable président du Sénat en cours d’installation – ce qui ferait de lui le « dauphin » constitutionnel.
Il a été démis de ses fonctions de chef du gouvernement, exclu du parti ?au pouvoir, puis incarcéré pour malversations Idrissa Seck retrouve ?aujourd’hui les faveurs du président. Tout le monde ne s’en réjouit pas.

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