« France, your French spea king world buggers off ! »*

Publié le 13 août 2007 Lecture : 6 minutes.

Lorsqu’un secteur de la société, une institution culturelle ou une activité puisant sa raison d’être ailleurs que dans la quête du profit se met en travers de la route de l’économie de marché mondialisée, il est rare qu’on assiste pour autant à une bataille rangée entre deux camps qui afficheraient chacun sa nature et sa doctrine : gestion contre création, entreprise privée contre service public, produit contre pensée, « globish » contre français, raison d’État contre droits de l’homme, monopole contre diversité, rentabilité contre partage, intérêt contre solidarité… Au contraire, « les choses » ne sont pas dites. Elles se passent le plus souvent dans l’ombre, clandestinement, presque honteusement. Le fort étouffe le faible dans l’indifférence générale, tant le vainqueur paraît connu d’avance.
Sur le plan politique, l’obsession réitérée de la réduction des dépenses inutiles, c’est-à-dire culturelles (on vise à la « mise en cohérence » de tel projet, on ampute tel budget, on « réduit la voilure » de tel service, on recommande à tel autre de « faire plus avec moins »…), ne dissuade pas les responsables de chercher à sauver les apparences grâce à une rhétorique éculée sur la création, la langue ou la culture qu’ils ont généralement tout loisir de déployer devant des travées désertes. Pas facile, dans un tel contexte, de débrouiller la vérité du mensonge et de diagnostiquer la crise, grosse de symptômes qui ne disent pas leur nom et dont on n’ose faire la somme, de crainte d’aggraver un mal que l’on n’a pas les moyens de guérir.

Ainsi en est-il de « l’affaire » de la Maison de la Francophonie. Rappelons les faits. La « bonne nouvelle » avait été annoncée en 2002 lors du sommet de Beyrouth par le président Chirac : « Bientôt, la Francophonie aura sa Maison. […] L’État est maintenant pleinement engagé dans ce projet. Cette Maison fera face au palais de l’Unesco. J’y vois plus qu’un symbole. J’y vois la promesse d’un beau et fructueux dialogue au service des valeurs de notre grande famille : la diversité culturelle, la justice, les droits de l’homme, le partage et la solidarité. »
Après que divers sites – un ancien hôpital au Quartier latin, le musée des Arts et Traditions populaires dans le bois de Boulogne et jusqu’au château de Villers-Cotterêts, près de Reims, où François Ier décréta le français langue officielle il y a près de cinq siècles – eurent été envisagés pour accueillir les opérateurs de l’Organisation internationale de la Francophonie actuellement dispersés dans sept lieux différents de la capitale française, siège de l’institution, le choix de la République s’est finalement porté sur 11 000 m2 d’un immeuble occupé en partie par le ministère de l’Écologie et du Développement durable et situé avenue de Ségur, dans le chic et cher 7e arrondissement de Paris. Le 28 septembre 2006, à 12 h 15, Philippe Douste-Blazy, alors ministre des Affaires étrangères, et Abdou Diouf, secrétaire général de la Francophonie, signaient au Parlement la convention relative à la mise à disposition de ces locaux par la France à titre gratuit et pour une durée de trente ans, en présence du président de la République.

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Las ! Moins de dix mois (et… deux élections, présidentielle et législatives) plus tard, le sénateur UMP Adrien Gouteyron, au nom de la commission des finances du Sénat, dont il est le rapporteur, dénonce la « dérive des coûts » du projet, et, surgissant tel le justicier anonyme entre deux articles de presse, poignarde ce beau rêve en emportant le retrait du texte de loi afférent qui devait être soumis aux parlementaires le 1er août.
Il est vrai que les sommes en jeu sont à la mesure des ambitions formulées jadis et que les dépenses exigées par ce que l’on nomme Maison sont d’un niveau comparable à celles d’un véritable palais : entre les déménagements, le remplacement des fenêtres, la mise aux normes thermiques et le désamiantage des locaux, le contribuable français aurait supporté une ardoise de 120 millions d’euros de travaux – « deux fois l’aide bilatérale au Mali », souligne le sénateur avec un zeste de perversité -, en net dépassement des sommes prises en compte dans le devis initial. D’autant que le maître d’ouvrage désigné était l’Emoc, établissement sous la tutelle du ministère de la Culture dont on apprend, au passage, qu’une enquête de la Cour des comptes avait déjà pointé les multiples défaillances sur le plan financier tout en révélant que « seules trois opérations terminées sur quinze avaient enregistré un retard inférieur à vingt mois » !
Mais surtout, c’est le total des loyers offerts par Paris qui aligne un montant franchement dissuasif : 14 millions d’euros par an sur trente ans, cela fait, pour tout francophone armé, ou non, d’une calculette, 420 millions ! De quoi fournir à l’Élysée de bons motifs de rechercher d’autres pistes, en vendant éventuellement l’immeuble de l’avenue de Ségur pour adoucir d’avance la « douloureuse »… Ce n’est pas, en effet, le principe de l’opération de regroupement des services (des « guichets ») de la Francophonie qui est contesté par les sénateurs, aussitôt approuvés par le secrétaire d’État chargé de la Coopération et de la Francophonie, Jean-Marie Bockel, mais ses modalités.
Bref, on pourrait se réjouir sans arrière-pensée aucune de cette réaction de bonne gouvernance, aussi tardive qu’elle fût, si…

Si, tout d’abord, elle avait suscité un écho comparable à l’effet d’annonce du projet initial. Or, à cause peut-être de cette fameuse parenthèse des vacances qui « plombe » comme chaque été le berceau hexagonal de la Francophonie, seul un silence pesant a retenti après que le texte de loi a été rangé dans les tiroirs des parlementaires. Pas un mot, toutes tendances politiques confondues, à l’exception des protestations de la sénatrice et ancienne ministre socialiste Catherine Tasca, elle-même outrée de cette absence de réaction, à l’exception de celle du président Diouf, secrétaire général de l’OIF ! Aucun frémissement du côté des 68 pays de la Francophonie, qu’on aurait pu croire touchés par la perte de leur Maison, pas davantage qu’en provenance des membres de l’Assemblée parlementaire francophone devant laquelle la France venait de réaffirmer son engagement à Libreville. Voilà qui nous indique à quel point la réserve traditionnellement observée par les autorités francophones est payée de retour ! Et qui, une fois de plus, réclame une parole forte, transparente, pour nommer sans détour les besoins, les actions, la volonté, mais aussi les obstacles.
Ensuite, on ne serait pas tenté de soupçonner, sous couvert d’une mesure technique, un changement d’attitude du gouvernement français vis-à-vis de la Francophonie, si son ministre lui-même n’avait, quelques jours plus tôt, prononcé des propos assez caractéristiques de l’instrumentalisation de la culture au service du pouvoir. Plaçant « la diversité culturelle et linguistique » au cinquième rang des « vraies priorités du développement », Jean-Marie Bockel a évoqué tantôt le rayonnement culturel de la France, « attribut de la notoriété quand ce n’est pas celui de la puissance », tantôt « les enjeux de développement des bassins de Francophonie de l’Afrique, du Maghreb et du Proche-Orient », ou l’importance à accorder au fait que le français soit davantage perçu comme une langue des affaires. Sous la plage d’un discours francophone convenu, on a donc vu poindre les pavés du capitalisme libéral taillés au prisme de l’intérêt national. En bon francophone, cela s’appelle « le beurre et l’argent du beurre » !
Bref, après la désertion des écrivains francophones, signataires d’un manifeste de la « littérature-monde » qui prône une langue française « libérée de son pacte exclusif avec la nation », l’épisode de l’abandon, même provisoire, de la Maison de la Francophonie à Paris interroge à nouveau les rapports entre la France et les populations avec lesquelles elle partage sa langue.

Pour Olivier Poivre d’Arvor, le « patron » de l’agence CulturesFrance, ce « chahut » de l’institution francophone par le contrôle de gestion est une excellente chose. Ce serait même un progrès si, du coup, l’on pouvait passer du projet d’une Maison nichée au cur des quartiers huppés à une autre, plus proche des populations originaires des pays de la Francophonie, et qui fasse le lien avec la question des migrations, des banlieues, du Maghreb… comme La Villette, par exemple. Ou, mieux encore : qu’on regroupe des locaux pour ce qu’ils sont, à savoir des bureaux, et que ce soit la France tout entière, par la voix de ses citoyens enfin concernés, qui offre à la Francophonie sa Maison !
Encore faudrait-il, pour y parvenir, que les nouveaux élus fassent preuve, dans leur défense de l’idéal francophone, d’un zèle égal à celui avec lequel ils semblent vouloir désormais traquer les écarts de gestion de ceux qui en ont la charge.

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