Quelles solutions ?

Entre traitements radicaux et concertation, les pays africains tentent de résoudre les problèmes posés par leur urbanisation galopante.

Publié le 13 août 2006 Lecture : 6 minutes.

« En ce début de XXIe siècle, les villes font face à des défis sans précédent. Leur existence même est menacée par les répercussions des changements climatiques. Leur cohésion et leur stabilité sociales sont éprouvées par l’exclusion, les inégalités et l’insuffisance de logements et de services de base. La qualité de la vie et la santé de leurs habitants sont de plus en plus affectées par la congestion et la détérioration de la qualité de l’air et de l’eau. » Le cri d’alarme est clair ; les propos, d’un réalisme implacable. Ils ont été lancés avec force devant 10 000 participants réunis à Vancouver au Canada, du 19 au 23 juin dernier, dans le cadre de la 3e session du Forum urbain mondial (FUM3). La population urbaine dans les pays en développement est appelée à doubler d’ici à 2020 pour passer de 2 à plus de 4 milliards de personnes. Enjeu de notre époque, ce constat pose d’emblée une question : comment conjuguer logements décents et prix abordables pour éviter que les nouveaux urbains ne vivent dans des taudis ? Le continent africain, en particulier, est-il prêt à répondre aux défis lancés par la croissance de sa population urbaine ?
Répondre nécessite d’abord de tordre le coup à quelques idées reçues. La première concerne la prétendue « métropolitanisation » de l’Afrique. Malgré une hausse rapide, de l’ordre de 5 % par an, l’urbanisation sur le continent africain est encore faible par rapport à celle que connaissent l’Asie ou l’Amérique latine. Quarante pour cent seulement des Africains vivent aujourd’hui dans des villes, contre 15 % en 1970. Seule l’agglomération de Lagos dépassera les 20 millions d’habitants en 2015. Qui plus est, ces chiffres cachent de profondes disparités. L’urbanisation du Nigeria ne ressemble en rien à celle de Djibouti, qui diffère elle-même de celle de l’Éthiopie ou de celle du Maroc. Alors que le taux de citadins est de 83 % à Djibouti, il tombe à 8 % au Burundi. Et si 60 % des Sud-Africains résident en ville, ce n’est le cas que de 15 % des Burkinabè. En outre, le phénomène est essentiellement le fait des pays côtiers. L’urbanisation atteint 40 % au Sénégal et 38 % en Mauritanie, contre 25 % au Mali et 18 % au Niger. Pour les démographes, la montée en puissance des villes de plus de 1 million d’habitants est un acquis. Elles seront plus de 70 dans dix ans, contre une trentaine dans les années 1990, et offriront une mosaïque bigarrée allant de Kinshasa à Alexandrie en passant par Alger, Abidjan, Luanda, Le Cap ou Casablanca.
L’autre préjugé qui doit être démenti concerne l’exode rural, qui se ralentit actuellement en Afrique. Depuis quelques années, on assiste même à une légère inversion du rapport villes/campagnes. « Les mouvements de populations depuis les capitales vers le monde rural apparaissent substantiels, allant de 14 % en Guinée à 23 % au Burkina Faso. Nous n’observons plus de migrations massives des campagnes vers les villes, ni des pays enclavés vers les pays côtiers », souligne l’Institut de recherche pour le développement (IRD), sans toutefois sous-estimer l’importance de cet exode qui représente encore 60 % des déplacements internes en Mauritanie, 47 % au Burkina Faso et 43 % au Mali. L’IRD précise par ailleurs que « le tournant démographique de l’Afrique se situera aux alentours de 2025, date à laquelle le nombre d’urbains atteindra les 700 millions et excédera celui des ruraux ».
En dépit de ces deux phénomènes, la croissance des villes africaines reste bien réelle et continue de poser des problèmes en matière d’équipements en eau, électricité et assainissement. Moins bien armées pour « absorber » le surplus démographique, elles doivent souvent parer au plus urgent. Sur le continent, les bidonvilles tendent, en effet, à se multiplier, ce qui incite les autorités à procéder à leurs destructions, manière rapide d’effacer le problème plutôt que de le régler. Le Nigeria est coutumier du fait. En 1990, c’est le quartier de Maroko, situé au cur de Victoria Island, qui a fait l’objet d’un « nettoyage ». En 2000, c’était au tour de plus de 1 million de résidents des quartiers de Rainbow Town, à Port-Harcourt, d’être expulsés. En 2003 encore, à Ijora-Badiya, à la périphérie de Lagos, 5 000 habitants ont été délogés par des Brigades d’intervention spéciale. Selon l’ONG genevoise, Centre on Housing Rights and Evictions (Cohre), 1,2 million de Nigérians ont ainsi été systématiquement « sortis » de leurs logements depuis 2000. Ce fut encore le cas, en avril 2005, pour plus de 3 000 d’entre eux dans le quartier de Makoko, à Lagos. Les autres pays ne sont pas en reste. Le Zimbabwe tout particulièrement, qui a délogé, l’an dernier, des centaines de milliers de personnes à coup de bulldozers dans le cadre de l’opération « Murambatsvina ». Selon la directrice d’ONU-Habitat, la Tanzanienne Anna Tibaijuka, 2 millions de personnes ont été victimes de la politique d’éradication des bidonvilles du président Robert Mugabe.
Si elles posent de nombreux problèmes au quotidien, ces villes très disparates sont aussi des sources d’inquiétude pour l’avenir. Absence d’assainissement, services prioritaires inaccessibles, rejets polluants, embouteillages, chômage, insécurité galopante La liste des défis qu’elles posent aux urbanistes est longue et fastidieuse.
L’urbanisation est pourtant un enjeu mondial qui fait régulièrement l’objet de débats internationaux. Pas un plan de développement ne voit le jour sans que l’un de ses points n’y soit consacré. À Johannesburg en 2002, le Sommet mondial pour le développement durable s’est fixé pour objectif la réduction de moitié, d’ici à 2015, du nombre de personnes n’ayant pas accès à l’eau potable et l’assainissement, soit 2,6 milliards d’individus. Enfin, si la question cruciale des transports n’a pas été intégrée aux Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), elle sera au centre de la quatrième rencontre du Sommet africain des collectivités locales (Africités) à Nairobi du 18 au 24 septembre prochain.
Si elles diffèrent beaucoup, les villes africaines ont toutes, cependant, un point commun : les infrastructures y font cruellement défaut. Toujours en extension, les agglomérations ont constamment besoin d’un rallongement de leurs réseaux, de leurs routes ou de leurs autoroutes, ainsi que de la multiplication des barrages hydrauliques et des stations d’épuration. Autant de coûts que les municipalités et les États ne peuvent assumer. Ils s’efforcent alors de transposer certains exemples de réussite rencontrés au Brésil ou en Afrique du Nord, en réinventant la planification et en associant les communautés locales à des modèles de développement durable. Ils encouragent également les partenariats avec les institutions multilatérales, les donateurs bilatéraux, mais aussi le secteur privé. Les entreprises se sont immiscées dans la gestion urbaine à la faveur de programmes de privatisation. Elles se sont vu attribuer une gestion de services et la réalisation de nouveaux investissements sous la forme de concessions. Mais, malgré d’incontestables succès, cette formule connaît des fortunes diverses sur le continent, la clarification de la gestion apportée par ces opérateurs privés se faisant souvent au détriment des prix et de l’accès à la ressource, d’où des crispations observées ces derniers mois dans des pays comme le Gabon, le Sénégal ou le Cameroun.
« Si la hausse de la démographie urbaine ne s’accompagne pas d’une augmentation des ressources financières, les millions de personnes qui auront besoin d’un logement d’ici à 2030 vont tomber dans le piège de la pauvreté urbaine et vivront dans des conditions déplorables », souligne un récent rapport de l’ONU-Habitat. En Afrique subsaharienne, on sait déjà que les enfants des bidonvilles ont plus de risques de mourir de maladies respiratoires ou liées à la mauvaise qualité de l’eau que ceux des campagnes. Les femmes y ont, pour leur part, un plus gros risque de contracter le sida. De nouvelles idées reçues ? Pas cette fois, malheureusement.

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