Olmert-Peretz : erreur de casting

Publié le 13 août 2006 Lecture : 5 minutes.

« Qu’aurait fait Arik ? » De l’aveu de ses proches, la question obsède Ehoud Olmert, l’ex-apparatchik du Likoud qui dirige le gouvernement israélien depuis l’attaque cérébrale qui a terrassé Ariel Sharon, au mois de janvier. Nul doute qu’en noyant le Liban sous un déluge de bombes il est convaincu de marcher sur les traces de son ancien rival devenu son mentor. En 1982, pour faire cesser – déjà ! – les tirs d’obus au-dessus de la frontière et liquider l’OLP, celui-ci n’avait-il pas semé la mort et la désolation du côté de Beyrouth, puis occupé le sud du pays pendant près de vingt ans ?
Olmert fait « un complexe », ironise Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, il veut « prouver qu’il est un chef du calibre de Sharon et de Rabin ; il a réussi sur le plan des massacres de civils, mais pas sur celui de l’intelligence politique et militaire ». Intox destinée à démoraliser la population israélienne ? Bien sûr, mais pas seulement. La conduite des opérations au Liban, depuis un mois, invite à se poser la question : Olmert et son ministre de la Défense, l’ancien syndicaliste et militant pacifiste Amir Peretz, sont-ils à la hauteur de la situation ? Dépourvus de toute expérience militaire, n’ont-ils pas imprudemment revêtu l’uniforme trop grand pour eux du général Sharon ?
« Les dirigeants israéliens, explique dans Le Monde l’universitaire Yoram Peri, ont été pris au dépourvu par l’enlèvement de deux soldats sur la frontière nord. Ils ne savaient pas quoi faire. Dan Haloutz, le chef d’état-major, leur a aussitôt présenté les plans que ses subordonnés ont élaborés, puis améliorés au fil des années. Tout était prédigéré. Face à cela, les politiciens n’ont pas les instruments pour élaborer des solutions alternatives. » Olmert et Peretz se sont-ils laissés « balader » par le général Haloutz -, ce superfaucon qui, il y a quelques années, « inventa » les assassinats ciblés de dirigeants palestiniens (voir J.A. n° 2378) – pour prouver à l’opinion et sans doute à eux-mêmes qu’ils ont « l’étoffe des héros » ?
Quoi qu’il en soit, ils ont réagi à la double provocation du Hamas palestinien et du Hezbollah libanais « comme un taureau qui aurait reçu un coup de pied dans les couilles », explique virilement un responsable du ministère de la Défense cité par l’hebdomadaire L’Express. Ou plutôt, dans cet Orient rendu encore plus compliqué par la destruction de l’Irak, les soubresauts d’un régime syrien aux abois et les ambitions nucléaires (et géostratégiques) des ultraconservateurs iraniens, avec la subtilité d’un pachyderme dans un magasin de porcelaine : on écrase tout pour prouver sa capacité de dissuasion, puis on tente, comme on peut, de recoller les morceaux. Bref, en dépit de ses échecs répétés, la méthode Bush fait des émules. Sharon n’avait certes aucun scrupule à déchaîner le feu du ciel contre les Arabes, mais il savait retenir son bras et négocier quand tel lui paraissait être son intérêt. Mieux vaut souvent éviter de faire usage de sa force. Pour ne pas en révéler les limites. Or les limites de la puissance israélienne ne sont jamais apparues plus crûment qu’aujourd’hui.
Il va de soi que, dans la guerre « asymétrique » engagée contre Téhéran, Damas, le Hezbollah et le Hamas, l’État hébreu ne peut, dans l’immédiat, pas perdre. Mais il n’est nullement assuré de l’emporter, même s’il ne faut pas sous-estimer l’impact dévastateur de plusieurs semaines, ou plusieurs mois, d’intenses bombardements, même sur des combattants aussi déterminés et aguerris que les miliciens chiites. Dans l’immédiat, le gouvernement n’a atteint aucun de ses objectifs : le Hezbollah n’est pas près d’être désarmé, ses combattants s’accrochent pied à pied aux collines du Sud-Liban, et l’on voit mal comment, en l’absence d’un accord politique que rien ne laisse présager comme en témoignent les réactions du gouvernement libanais, une force internationale pourrait y prendre position pour combattre les « terroristes » en lieu et place de Tsahal.
Plus grave, les réactions du « couple » Olmert-Peretz révèlent une impréparation, un manque de sang-froid et une propension à prendre ses désirs pour des réalités qui eussent révulsé Sharon. Prétendre, comme l’a fait le Premier ministre le 2 août, que l’essentiel des capacités opérationnelles du Hezbollah ont été détruites par les frappes aériennes, quand, le même jour, 200 ou 300 roquettes Katioucha (et autres) s’abattaient sur le nord d’Israël, ça fait désordre ! Il faut avoir vu à la télévision Amir Peretz, la moustache en bataille et les yeux rougis par le manque de sommeil, pour comprendre le calvaire que doit vivre l’ancien président de l’Histadrout, la puissante centrale syndicale. Premier civil à occuper le poste de ministre de la Défense, ce « fils du peuple » séfarade longtemps snobé par l’establishment ashkénaze sait qu’il est attendu au tournant. Alors, il surjoue et en fait trop : « Nasrallah n’oubliera jamais Amir Peretz », dit-il. Pathétique. S’entendre traiter, à la Knesset, d’« assassin d’enfants » par des députés arabes-israéliens n’a pas dû être très agréable. Mais que dire de ce satisfecit condescendant que lui a délivré un dur du Likoud (Youval Steinitz) : « Il fait du bon boulot. S’il applique aux questions de défense la même énergie que dans les luttes syndicales, il peut progresser » ?
L’état-major – et donc le gouvernement – étaient convaincus qu’ils allaient écraser le Hezbollah en quatre ou cinq jours. L’objectif était évidemment d’adresser un message sans équivoque à ses protecteurs syriens et, surtout, iraniens, qui, depuis l’enlisement américain en Irak, se sentent pousser des ailes. C’est raté : les difficultés rencontrées par les unités d’élite de Tsahal pour déloger une centaine de miliciens chiites puissamment retranchés dans le village frontalier de Bint Jbeil ont produit l’effet exactement inverse (voir J.A. n° 2378). On découvre peu à peu les vertigineuses carences des services de renseignements, naguère fer de lance de la puissance israélienne. Ces derniers n’avaient manifestement pas la moindre idée ni de l’ampleur des défenses (bunkers souterrains, fortifications, tranchées) construites par le Hezbollah à quelques kilomètres de la frontière, ni du nombre et de la portée des roquettes et missiles fournis en abondance par les Iraniens. Enfin, et ce n’est pas le moins inquiétant, l’hypothèse du déploiement d’une force internationale au Sud-Liban n’avait tout simplement pas été envisagée : elle a été imposée par les circonstances. « Nous sommes aujourd’hui obligés d’en discuter tout en combattant », déplore un spécialiste.
S’il est vrai que, comme l’affirmait le 25 juillet le vice-Premier ministre Shimon Pérès, « il n’y a pas d’alternative à la victoire sur les terroristes » – autrement dit : s’il n’est d’autre réponse à la violence que le déchaînement d’une violence plus grande encore -, alors Israël et ses alliés américains ont du souci à se faire. Et le monde entier avec eux.

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