Le « prophète » dos au mur

Publié le 13 août 2006 Lecture : 3 minutes.

Les mandats d’arrêt lancés en octobre 2005 par la Cour pénale internationale (CPI) à l’encontre de Joseph Kony et de quatre de ses lieutenants – tous accusés de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre – compliquent singulièrement les pourparlers de paix engagés à Juba, au Sud-Soudan, entre l’Armée de résistance du Seigneur (ARS), que dirige le principal inculpé, et le gouvernement du président Yoweri Museveni. Effrayés à l’idée de subir le sort d’un Charles Taylor, l’ancien président du Liberia emprisonné à La Haye depuis le 20 juin, Kony et Vincent Otti, son adjoint, ont quitté la table des négociations, le 9 août. Une décision d’autant plus déplorable que, cette fois, les populations acholies, principales victimes de la guerre qui ensanglante le nord de l’Ouganda depuis vingt ans, avaient cru la paix possible.
Ces derniers mois ont offert leur lot de surprises. En mai, Joseph Kony, ce prophète autoproclamé qui a repris le flambeau du Mouvement du Saint-Esprit (créé dans les années 1980 par Alice Auma « Lakwena », aujourd’hui en exil au Kenya), s’est pour la première fois montré à visage découvert. Un DVD le montre en compagnie de Riek Machar, l’ancien numéro deux de l’Armée de libération du peuple soudanais (SPLA), qui a offert sa médiation dans les tractations interougandaises. C’était une bonne nouvelle, l’ARS, soutenue par Khartoum, ayant longtemps été l’ennemie de la SPLA, soutenue par Kampala. Kony sait que sans l’aide militaire du Soudan, ses troupes, déjà affaiblies, risquent de se trouver très vite à court de munitions. C’est pourquoi il avait accepté de rencontrer les leaders d’opinion du pays acholi, ainsi que des représentants du gouvernement.
Les négociations de paix se sont ouvertes le 14 juillet à Juba. Elles ont été suspendues dix jours plus tard et n’ont repris qu’au début de ce mois. En l’absence de Kony, qui, méfiant, est resté terré dans la forêt de Garamba, à la frontière entre le Sud-Soudan et la RD Congo, non loin de Nabanga. C’est là que le 1er août, accompagné d’enfants-soldats en dreadlocks, le général gourou a tenu l’une de ses rares conférences de presse, en langue acholie. Tout en se déclarant « totalement favorable à des pourparlers de paix avec Museveni », il a directement mis en cause la responsabilité de ce dernier : « Il y a des unités mobiles de l’Uganda People’s Defence Force [UPDF] qui se déplacent dans le nord de l’Ouganda. Elles tuent notre peuple, mais accusent l’ARS. Je veux dire que je ne tue pas mes frères, je ne tue pas mes surs, je ne tue pas mes mères et mes pères. Tout ceci est de la propagande du gouvernement ougandais qui contrôle les médias. »
Kony a brossé de lui-même un portrait plutôt flatteur, eu égard aux atrocités commises en son nom depuis 1986 : « Je ne suis pas un sorcier qui parle aux esprits, s’est-il défendu, ni un monstre avec une queue et de grands yeux. Je suis un être humain né en 1962 dans un lieu nommé Odek, dans le district de Gulu. J’ai pris le maquis à l’âge de 23 ans. Depuis, je n’ai revu ni mes frères, ni mes surs, ni mes camarades » Son programme ? Il n’a pas changé et se résume en quelques lignes : « Je ne combats pas pour la Constitution, qui a été fabriquée pour garantir le maintien au pouvoir de certains, mais pour les Dix Commandements de Dieu, qui sont violés partout. » Un objectif d’une précision toute relative dont on peut apprécier les effets sur le peuple acholi : meurtres, enlèvements d’enfants, viols, esclavage, tortures, lavages de cerveau Au total, environ 20 000 enfants auraient été kidnappés, plus de 1 million de personnes déplacées et 100 000 civils tués depuis le début des hostilités.
Entre le cessez-le-feu unilatéralement proclamé par l’ARS et la proposition d’amnistie lancée par le gouvernement, les deux camps semblaient résolus à poursuivre les négociations. Malheureusement, celles-ci se trouvent de nouveau dans l’impasse. Les exactions de l’ARS offrent à Museveni un excellent prétexte pour accroître ses dépenses militaires et s’abstenir de venir en aide à une région traditionnellement rebelle. De surcroît, le président ougandais n’est plus en mesure de garantir l’amnistie de Kony et de ses adjoints, puisque la CPI, qui a compétence universelle, exige que les prévenus répondent devant elle des chefs d’accusation qui pèsent sur eux. Et les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles.

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