Une révolution culturelle ?

Publié le 13 mai 2007 Lecture : 3 minutes.

A Montpellier, lors de son tout dernier meeting électoral, Nicolas Sarkozy a mis l’accent sur ce qui constitue à ses yeux une priorité : il faut, a-t-il expliqué, « dire adieu » à « l’héritage de Mai 68 ». Au cours des semaines précédentes, il avait déjà martelé sa volonté de « liquider Mai 68 ». Il y est encore revenu, en termes à peine moins vigoureux, au soir de sa victoire.
Cette insistance est surprenante. Après tout, Mai 68, c’était il y a presque quarante ans ! Imagine-t-on un autre candidat à la magistrature suprême, en France ou ailleurs, prôner l’urgence de revenir sur un moment politique, social et culturel aussi vieux, aussi dépassé, pour le honnir collectivement ? C’est un peu comme si Valéry Giscard d’Estaing avait jugé indispensable, pour se faire élire au milieu des années 1970, de dénoncer les méfaits du Front populaire Raison de plus pour prendre au sérieux ces fortes paroles et considérer que si le nouveau président a cru devoir les prononcer si souvent, c’est qu’elles ont pour lui une signification profonde.
Elles nous disent en effet, tout simplement, que la France vient brusquement de changer d’idéologie dominante. D’une certaine façon, Sarkozy ne réclame d’ailleurs pas ce changement : il constate que son heure est venue. Voilà pourquoi il n’a cessé d’annoncer au cours de sa campagne – de manière, il faut le reconnaître, fort peu démagogique – que les priorités se nomment désormais : travail, autorité, effort, discipline, morale, famille, soif de réussite professionnelle, etc. Ses credo ? La génétique (l’inné l’emporte sur l’acquis, les inégalités sont « naturelles »), la fierté nationale voire nationaliste (pas de repentance, même vis-à-vis des pages les plus sombres de l’histoire du pays), le mérite personnel (hommage appuyé à « ceux qui se lèvent tôt »). En un mot, tout ce qui semble contredire les valeurs des « révolutionnaires » de Mai 68, qui, on s’en souvient peut-être, rêvaient de mettre « l’imagination au pouvoir » et se gargarisaient de slogans libertaires du type « soyez réalistes, demandez l’impossible », tout en réclamant une libération totale des murs et une abolition des hiérarchies. Ces « valeurs » n’ont certes jamais été adoptées telles quelles, mais elles ont irrigué la société française jusqu’à récemment.
Le souhait de Sarkozy est donc que les Français renoncent à ces utopies pour en revenir au bon vieux « bon sens » conservateur – faut-il dire désormais néoconservateur ? En tout cas, à une situation profondément différente de celle qui a prévalu au cours des dernières décennies, qu’il caricature d’ailleurs volontiers pour en faire un épouvantail aux yeux de cette « majorité silencieuse », comme disait Richard Nixon, dont il se réclame. S’il a été élu, c’est bien parce que son souhait d’une révolution, voire d’une contre-révolution, culturelle, est partagé par une majorité de ses concitoyens. Invoquant curieusement Antonio Gramsci, l’idéologue des communistes italiens de l’entre-deux-guerres, le candidat de l’UMP a d’ailleurs déclaré, il y a quelques mois, que, pour gagner une élection, il fallait préalablement s’être assuré une « hégémonie culturelle ».
La meilleure preuve en est que Ségolène Royal, sa concurrente socialiste, partage, à quelques nuances près, cette analyse. Ses slogans favoris, déroutants pour plus d’un supporteur de la gauche, ne glorifiaient-ils pas en permanence le travail, le drapeau, la famille, l’autorité et la morale ?
Il n’est donc pas certain que le futur gouvernement sera aussi libéral en économie qu’on veut bien le dire. Ni que le futur président procédera à une « rupture » sociale et diplomatique radicale. En revanche, il ne fait guère de doute que la société française de demain sera profondément différente de celle d’hier et, plus encore, d’avant-hier. Elle va continuer, de façon accélérée, à changer de culture, au sens le plus large du mot. C’est une mauvaise nouvelle pour les anciens soixante-huitards libertaires, bien sûr, mais aussi pour tous ceux qui croient encore que les valeurs de justice, d’égalité et de solidarité sont plus importantes que celles d’autorité, de compétition, de morale et de compassion.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires