Sombre ciel africain

Publié le 13 mai 2007 Lecture : 3 minutes.

Un appareil flambant neuf, un pilote expérimenté, une compagnie de renommée internationale : les 114 passagers du Boeing 737 qui s’est abîmé dans les marécages camerounais avaient tous les gages de sécurité. En cela, le premier crash africain de l’année 2007 ne ressemble pas aux catastrophes aériennes qui endeuillent, plusieurs fois l’an, le continent. Là, ce sont des coucous de fortune, Antonov ou Iliouchine obsolètes et irréparables faute de pièces détachées, affrétés par des transporteurs peu soucieux de la sécurité, confiés à des pilotes aussi fantaisistes que les contrôleurs aériens Ici, c’est une compagnie certifiée IOSA (Iata Operational Safety Audit) – label international que seuls neuf transporteurs du continent ont réussi à décrocher -, un avion américain qui n’affiche pas six mois de service au compteur et un commandant de bord rompu à la ligne Douala-Nairobi, « 8 000 heures de vol à son actif », précise son employeur.
Et pourtant, le crash a eu lieu. Comme à Abidjan en 2000, rappellent les gazettes, au grand dam de Kenya Airways. Le 30 janvier de cette année-là, un Airbus A-310 de la compagnie sombre dans l’océan Atlantique une vingtaine de secondes après avoir décollé, en pleine nuit, de l’aéroport Félix-Houphouët-Boigny. Bilan : 169 morts sur 179 passagers. Pour les enquêteurs, la catastrophe serait autant le fait d’une mauvaise manuvre de l’équipage que des conditions de décollage difficiles. La chronique, elle, ne retiendra que la première raison, et, depuis le crash du 5 mai, les plus superstitieux en viennent à croire que Kenya Airways est maudite
Geoffroy Bouvet, commandement de bord à Air France et porte-parole du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), se montre plus rationnel. « Le ciel d’Afrique centrale est très particulier, même les pilotes d’Air France ont une formation spécifique pour cette zone-là », admet-il. En clair, l’atmosphère agitée de part et d’autre de l’Équateur – qui crée un épais front nuageux, le « pot au noir » tant redouté par les pionniers de l’Aéropostale, au début du XXe siècle – multiplie les risques d’accidents. Et en Afrique, elle les décuple, car « il est très rare que les contrôleurs fassent leur métier », selon l’expert. Pour cette raison, les manuels de procédures recommandent aux pilotes de redoubler de vigilance dans la majeure partie du ciel africain. « On passe notre temps à écouter tout ce qui se passe », commente Geoffroy Bouvet. Dans ces « zones noires », c’est l’information du chef d’escale, et non du contrôleur aérien comme le veut l’usage, qui fait foi en matière de météo. « Rares sont les compagnies africaines qui appliquent les mêmes règles », poursuit sans ambages le pilote. Reste donc à savoir si le commandant de bord de Kenya Airways a respecté les procédures ou si, au contraire, il s’en est remis au sort. À moins que la météo ait été plus diabolique que toutes les règles de sécurité.
Faute professionnelle ou aléa malheureux, le crash du 5 mai va continuer d’assombrir l’image déjà obscure du ciel africain dans l’esprit de nombre de voyageurs. Les chiffres sont là : le continent ne représente que 3 % du trafic aérien mondial et pourtant, 30 % des victimes de crashs y ont trouvé la mort entre 1996 et 2005 En mars 2006, la publication, par la Commission européenne, d’une « liste noire » de 92 compagnies interdites en Europe, dont les neuf dixièmes sont africaines, jette le discrédit sur le transport aérien du continent. Bis repetita en 2007 : le document est actualisé, mais les compagnies africaines y sont presque toujours aussi nombreuses. Pourtant, rares étant celles qui desservent effectivement le Vieux Continent et d’autres n’existant tout simplement pas, nombreux sont les experts du secteur qui voient là une manuvre de Bruxelles pour rassurer les voyageurs occidentaux à peu de frais.
« Nous avions commencé une belle année 2007 », regrette, de retour du site de la catastrophe de Douala, Christian Folly Kossi, secrétaire général de l’Association des compagnies aériennes africaines (AFRAA). Ce dernier rappelle, chiffres à l’appui, que les crashs en Afrique ne sont le fait que de quelques pays : entre 1996 et 2005, 62,6 % des accidents se sont produits en RDC, au Kenya, au Soudan, en Angola ou au Nigeria. Dans ces deux derniers pays, des progrès ont toutefois été réalisés. « L’Angola, qui avait l’habitude d’être en tête des pays dangereux a interdit tous les vieux avions », souligne Christian Folly Kossi, avant d’ajouter que « le Nigeria a pris de grandes dispositions », notamment en matière d’équipements.
La catastrophe du 5 mai est d’autant plus cruelle pour le secteur aérien africain qu’il fait actuellement face à une offensive des compagnies du Golfe qui tentent de capter les voyageurs du continent vers l’Asie, notamment la Chine. Un sujet dont devaient débattre les ministres africains en charge du transport aérien, réunis les 10 et 11 mai à Addis-Abeba pour leur conférence annuelle. Le moment ne pouvait être mieux choisi.

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