Mare Nostrum

Publié le 13 mai 2007 Lecture : 4 minutes.

A peine élu, Nicolas Sarkozy a réaffirmé sa volonté de « bâtir une Union méditerranéenne qui sera le trait d’union entre l’Europe et l’Afrique ». Il avait déjà évoqué ce projet aux contours encore flous dans un discours prononcé le 7 février, à Toulon. Apparemment, il s’agit donc d’une priorité diplomatique du quinquennat à venir. Dans son esprit, l’idée n’est pas nouvelle.
En mars 2005, alors ministre de l’Intérieur, Sarkozy avait, lors d’une visite au Maroc, sévèrement critiqué le processus dit de Barcelone, « EuroMed » pour les familiers du jargon bruxellois. Lancé en 1995, ledit EuroMed se voulait à l’origine un lien entre l’Union européenne et dix pays riverains de la Méditerranée. Il n’a malheureusement atteint aucun de ses objectifs. À Rabat, le président de l’UMP avait, en revanche, vanté les vertus du « partenariat privilégié » et déploré que l’UE ait tourné le dos au Bassin méditerranéen pour ne s’intéresser qu’à l’Europe orientale.
Quelques mois plus tard, désormais candidat déclaré à la présidence, Sarkozy s’était montré plus précis : « L’Union méditerranéenne a vocation à travailler étroitement avec l’UE et à mettre en place avec elle, un jour, des institutions communes. » Dans son discours du 6 mai, après sa victoire électorale, il est revenu à la charge en appelant « tous les peuples de la Méditerranée » à s’inspirer de l’exemple de ce qui a été réalisé en Europe, il y a un demi-siècle. Il en est convaincu : « Tout se jouera en Méditerranée. » En attendant d’en savoir davantage, voici quelques clés pour mieux comprendre la démarche sarkozienne.
Qui en est l’inspirateur ?
Parmi les proches collaborateurs de Sarkozy, le plus ardent défenseur de cette Mare Nostrum d’un nouveau genre n’est autre que l’universitaire Henri Guaino, ancien commissaire général au Plan et ancien séguiniste rallié à la chiraquie dans les années 1990. Sarkozy et lui se sont rencontrés en 1997. Depuis, Guaino est sa « plume préférée ». Pendant la campagne électorale, on lui doit les références insistantes du candidat de l’UMP à Jaurès, à Blum et à Camus, mais aussi le projet d’Union méditerranéenne. Conscient que les aléas de l’Histoire ont marginalisé le Bassin méditerranéen par rapport aux grands flux économiques mondiaux, Guaino a su trouver les mots pour convaincre son patron de la nécessité de réhabiliter cet espace, d’en faire l’atout principal du « bloc latin » de l’Europe.
Qui sont les plus enthousiastes ?
À peine les premières estimations avaient-elles été rendues publiques, dans la soirée du 6 mai, que José Luis Zapatero, le président du gouvernement espagnol, s’est empressé de téléphoner au vainqueur. Après les congratulations d’usage, les deux hommes ont parlé du projet Sarkozy, auquel Zapatero a confirmé son adhésion. Il a été imité, quelques minutes plus tard, par Romano Prodi, le président du Conseil italien, qui s’est enthousiasmé pour ce « pari de la Méditerranée. »
Quatre dirigeants d’Afrique du Nord ont adressé un message de félicitations au nouveau président français : l’Égyptien Hosni Moubarak, l’Algérien Abdelaziz Bouteflika, le Tunisien Zine el-Abidine Ben Ali et le Marocain Mohammed VI. Mais seul le souverain chérifien a mentionné le projet méditerranéen de Sarkozy, l’informant de sa royale intention d’accompagner le processus.
Qui sont les plus sceptiques ?
Incontestablement, les Turcs, sans doute les grands perdants de la présidentielle française. Islamistes ou laïcs, tous savent que Sarkozy est farouchement opposé à l’intégration de leur pays à l’UE. C’est pourquoi ils perçoivent son projet d’Union méditerranéenne, dans laquelle la Turquie est appelée à jouer un rôle de « pivot », comme un lot de consolation. Le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan n’a donc manifesté aucun intérêt pour la proposition sarkoziste. Et il a annoncé son intention poursuivre les négociations avec Bruxelles, dans leur cadre actuel, c’est-à-dire directement avec le président en exercice de l’UE, l’Allemagne.
La victoire de Sarkozy a été unanimement célébrée en Israël (voir ci-contre), le quotidien Maariv allant jusqu’à la présenter comme « une petite Révolution française ». Mais les autorités n’ont fait aucun commentaire concernant les visions méditerranéennes de « l’ami » de Benyamin Netanyahou, le chef de l’opposition likoudnik. Parmi les États potentiellement membres de la future union figurent en effet des régimes « infréquentables », tels le Liban, plus que jamais contaminé par le virus Hezbollah, et la Syrie.
Parmi les indifférents, citons la Libye de Mouammar Kadhafi, lequel ne s’embarque que dans des projets qu’il peut piloter à sa guise, et la Syrie, qui redoute d’avoir à rendre des comptes en matière de respect des droits humains et d’ouverture économique.
Quelles sont les chances ?de succès ?
Barcelone a échoué parce qu’il s’agissait d’un dialogue Nord-Sud (l’ordre des termes n’est pas fortuit), fondé sur une logique commerciale. Sarkozy envisage d’adopter une logique productive. Il ne s’agit plus de sécuriser les échanges, mais de se battre, ensemble, contre tout ce qui menace la stabilité commune. Et ce tout tient en deux mots : migrations et terrorisme. On peut douter que le projet suscite l’enthousiasme des pays de la rive sud de la Méditerranée. Doter l’Union méditerranéenne d’un Conseil à l’image du Conseil de l’Europe, tenir des assises régulières du style G8, sont certes des idées généreuses. Mais sont-elles réalistes ? Dans l’espace méditerranéen, la démocratie est en effet à géométrie variable. Les contentieux hérités de l’Histoire n’y sont pas tous réglés, et certains conflits armés s’y prolongent depuis des décennies. Selon toute apparence, Nicolas Sarkozy aura besoin de plus d’un mandat pour mener à bien ses projets. Mais la pugnacité figure au nombre de ses qualités

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