Le roi est nu
Le printemps d’Harare aura vécu moins d’une semaine. Quelques jours de liesse pour des opposants rendus euphoriques par leur victoire aux législatives du 29 mars, au point d’imaginer déjà le couple Mugabe en exil en Malaisie et un gigantesque « carnaval de la libération » dans les rues de la capitale. Un petit tour d’espoir et puis s’en va. Deux semaines plus tard, à l’heure où ces lignes sont écrites, Robert Mugabe, 84 ans dont vingt-huit au pouvoir et dix en prison, s’accrochait toujours à sa proie comme un vieux lion à sa carcasse. Le roi est nu, mais nul, parmi ses pairs, n’ose encore le lui dire Tapie dans le cerveau reptilien du dernier des leaders africains en exercice de l’époque du combat anticolonial, existe une conviction définitive : le fait d’avoir libéré son peuple de la domination blanche, d’avoir pris pour cela tous les risques et gagné la guerre, lui confère une sorte de légitimité absolue infiniment supérieure à celle que décerne le verdict des urnes. Ainsi qu’un droit au pouvoir à vie pour services rendus à la patrie. Face à des concurrents qui ont eu l’impudence de lui contester ce privilège alors qu’ils n’ont même pas participé à la lutte de libération, perdre était pour Mugabe inenvisageable. Passe encore que son parti, victime de ses divisions, de ses errements et du « complot anglo-américain », ait été battu. Mais lui ne pouvait pas l’être puisque les Zimbabwéens, même s’ils n’ont plus rien, lui doivent tout. « Pas de mon vivant », avait martelé le « camarade Bob » pendant la campagne électorale. « Pas avant mille ans », disait il y a trente ans son geôlier Ian Smith, confronté à la même perspective impensable : une victoire de « l’ennemi ».
La posture, le discours et le pedigree de Robert Mugabe, joints au respect qu’imposent son âge et son parcours, trouvent aujourd’hui encore un écho certain auprès des populations d’Afrique australe, surtout les plus déshéritées. En dépit de l’horreur économique qu’est devenu le Zimbabwe, l’image globalement positive dont jouit cette icône écaillée par le temps et peu à peu gagnée par l’autisme propre aux autocrates explique en partie les profondes hésitations des treize autres chefs d’État de la SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe) à lâcher définitivement Mugabe, lequel leur pose un véritable cas de conscience. Thabo Mbeki, dont la voix est prépondérante et qui à lui seul serait en mesure de porter le coup de grâce au despote, est ainsi apparu déchiré entre son rôle de héraut d’une Afrique capable de nettoyer elle-même ses propres écuries sans l’aide de quiconque et la crainte d’être désigné comme un parricide. À l’instar de Dos Santos (Angola), de Guebuza (Mozambique) ou de Pohamba (Namibie), le président de l’Afrique du Sud appartient en effet à la génération des héritiers de la lutte anticoloniale, laquelle se sent redevable à l’égard de celle des freedom fighters dont Robert Mugabe est l’ultime incarnation au pouvoir. Ce dernier ayant en outre puissamment aidé l’ANC à une époque cruciale du combat contre l’apartheid, nul ne veut prendre la responsabilité historique de jouer les Brutus. Une prévention paralysante que ne partage pas, apparemment, le très probable futur chef de l’État sud-africain Jacob Zuma. Son populisme, son itinéraire personnel et sa volonté de se démarquer de Thabo Mbeki semblent en effet l’avoir rapproché de Morgan Tsvangirai. À ses yeux, « Mugabe must go » et personne, en tout état de cause, ne devrait dépasser dix ans au pouvoir.
Y aura-t-il un « effet Mugabe » pour la douzaine de chefs d’État africains qui s’apprêtent, au cours des cinq années à venir, à affronter le suffrage universel1 ? Quelques-uns d’entre eux le redoutent et ceux-là seraient bien inspirés de retenir au moins deux leçons de l’exemple zimbabwéen. On a beau contrôler étroitement les médias, l’administration, les forces de l’ordre et les observateurs électoraux, on ne peut plus rien désormais contre la volonté des électeurs. On a beau être historiquement légitime et politiquement habile, voire démagogue, si l’économique et le social ne suivent plus, la sanction est inévitable. Que pèse la gratitude des peuples envers leurs libérateurs face à des assiettes vides ?
1. Zine el-Abidine Ben Ali (Tunisie), Abdelaziz Bouteflika (Algérie), Denis Sassou Nguesso (Congo) et sans doute Laurent Gbagbo (Côte d’Ivoire) en 2009. Blaise Compaoré (Burkina), François Bozizé (Centrafrique), Lansana Conté (Guinée) en 2010. Paul Biya (Cameroun), Joseph Kabila (RD Congo), Idriss Deby Itno (Tchad) en 2011. Omar Bongo Ondimba (Gabon), Abdoulaye Wade (Sénégal), Amadou Toumani Touré (Mali) en 2012, etc.
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