Le Maghreb des nouvelles générations
Nous avons la fâcheuse habitude de considérer avec nostalgie certains événements historiques. Comme si tout était derrière nous. Peut-être pour justifier ce qui ne va pas. Et opérer des transferts de responsabilité. Changer d’approche, de perception et de regard pour vivre l’Histoire autrement est une nécessité. Le 50e anniversaire de la Conférence de Tanger nous y invite. Réunis, du 27 au 30 avril 1958, dans la ville du Détroit, les dirigeants du FLN (Algérie), de l’Istiqlal (Maroc) et du Néo-Destour (Tunisie) ont apporté leur soutien au peuple algérien dans sa lutte pour l’indépendance. Comme ils ont exprimé leur volonté d’unir leurs efforts dans le cadre d’institutions communes, la forme fédérale étant considérée comme la plus adaptée aux réalités des pays de la région.
Il aura fallu attendre trente ans pour voir l’Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie signer, en février 1989, le traité de Marrakech, donnant naissance à l’Union du Maghreb arabe (UMA). Vingt ans après, le nouveau-né est toujours paralysé ! Entre les deux dates, une expérience courte, mais riche, marquée par les activités d’un organe technique durant les années 1960 : le Comité permanent consultatif maghrébin (CPCM). La vision bismarckienne défendue par Abdeslam Belaïd (ministre de l’Industrie de Boumedienne) quant au positionnement de l’économie algérienne dans l’ensemble maghrébin mettra fin à ce processus.
Un raccourci historique qui met en évidence une vérité : le vivre-ensemble interétatique maghrébin n’est pas d’actualité. Et ce blocage handicape le vivre-ensemble des peuples de la région. Autrement dit, le non-Maghreb s’impose dans toute sa brutalité. Selon certaines estimations, il représente un manque à gagner de 2 à 3 points du PIB annuel des pays concernés. Dans ces conditions, il est normal que les économies nationales s’appauvrissent et que le chômage des jeunes s’accroisse. Se tourner le dos coûte cher !
C’est pourquoi le non-Maghreb est un non-sens. Il constitue une menace pour la paix, la stabilité et le progrès dans toute la région. De manière contradictoire, il débouchera fatalement sur un Maghreb uni. La géo-économie, la démographie, une nouvelle demande sociale très forte, le néomalthusianisme de l’Europe, tous ces facteurs seront à l’origine d’une nouvelle dynamique qui prendra appui sur les trois points suivants :
– La mondialisation a remis à l’ordre du jour la question de l’intégration régionale. On assiste à un changement d’échelle, le développement dans les frontières nationales étant devenu anachronique. Dans ces conditions, peut-on comprendre le bien-fondé de la position algérienne quant au maintien de la fermeture des frontières entre le Maroc et l’Algérie ?
– L’histoire récente nous apprend qu’intégration régionale et démocratisation vont de pair. Car se développer à plusieurs n’est pas un choix technique. C’est une option stratégique qui implique la liberté de circulation des personnes, des biens et services. L’irréversibilité de ce processus global est déterminée par la mise en place de garde-fous institutionnels démocratiques. Certains n’y sont pas prêts car, malheureusement pour eux, tout est subordonné à la logique de la conquête du « leadership régional ». Boumedienne n’a-t-il pas confié à un journaliste français dans les années 1970, sur le ton de l’ironie, que l’affaire du Sahara est « un caillou dans la chaussure marocaine. Il ne pourra jamais marcher normalement ! » ?
– Cette situation n’est pas une fatalité. Et seules les nouvelles générations maghrébines peuvent y faire face. Parce qu’elles s’inscrivent dans la logique de l’avenir, c’est-à-dire de la construction. Ce que veulent les jeunes Maghrébins, c’est pouvoir circuler librement et avoir un emploi. C’est possible si la croissance se libère, précisément par l’ouverture des frontières et la relance de la dynamique unitaire. Les nouvelles générations aspirent au changement. Elles revendiquent un Maghreb démocratique, uni, respectueux de la diversité. Elles ne supportent plus de faire les frais du non-Maghreb, sinon de l’anti-Maghreb.
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