À bicyclette
Hier matin, dans une rue d’Amsterdam, j’ai été témoin d’une petite scène qui en dit plus long que bien des études de sociologie. Il s’agissait d’un père et de sa fille qui faisaient tranquillement du vélo. Le père, la quarantaine rugueuse, trônait sur sa bécane d’homme, sobre et solide ; la petite fille, 7 ou 8 ans, voltigeait sur son petit vélo jaune. A priori, il n’y a là rien d’étonnant. Il faisait beau, c’était un dimanche matin, un père et sa fille font un petit tour en deux-roues. Pourquoi pas ? Ce qui m’a intrigué, c’est que papa et sa gamine étaient de toute évidence marocains. Or la communauté marocaine ici est plutôt conservatrice : on ne voit pas souvent el hadj et sa fille en vélo. Le moyen de transport préféré des Néerlandais est mal vu par les Marocains, qui lui associent, on ne sait pourquoi, l’idée de pauvreté. Bref : une image insolite. Mais voilà qu’arrivé à ma hauteur, le père crie à sa fille, qui le précède de quelques mètres :
– Sirri l’limine !
La petite fille, ne comprenant pas très bien, tourne la tête et crie :
– Rechts ? Rechts, papa ?
« Rechts », ça veut dire « à droite » en néerlandais et « sirri l’limine », ça veut dire « va à droite » en dialecte marocain. Donc, en principe, géniteur et progéniture sont sur la même longueur d’onde : il s’agit de tourner à droite pour aller rejoindre la rivière Amstel, le long de laquelle il fait bon se promener. Mais le père s’obstine. Au lieu de dire : ja, ja, rechts !, ce qu’il est parfaitement capable de dire (c’est tout à fait élémentaire), il répète sévèrement :
– Sirri l’limine !
L’enfant s’affole et pépie :
– Rechts ? Rechts ?
Le père est intransigeant : le dimanche, il parle en marocain à sa fille. C’est comme ça et pas autrement ! Il faut bien qu’elle apprenne la langue de ses aïeux. Le temps de rugir un dernier l’limine !, c’est trop tard, la gamine sur roues a filé tout droit, vers le centre-ville, alors que le père a effectué un virage impeccable en direction de la rivière. J’ai donc vécu en direct cette petite scène qui n’a duré qu’une minute mais qui s’est soldée par la cruelle séparation d’un père et de sa fille, à cause d’un malentendu linguistique, voire culturel.
Évidemment, j’exagère, puisque s’étant rendu compte de son erreur, la petite est revenue vers le carrefour et a rejoint son père, qui l’attendait sur le bas-côté. Tout est bien qui finit bien. Mais est-ce que tout finit toujours bien ? N’est-ce pas ce genre d’incompréhension qui débouche sur des ruptures bien réelles entre immigrés de la première génération et leurs enfants ? Les premiers sacralisent la langue, les coutumes et les croyances, de peur que leurs enfants s’en éloignent. Mais leur intransigeance cause tellement de problèmes que les enfants finissent quand même par s’éloigner, avec ou sans vélo
Voilà des réflexions bien pessimistes, direz-vous. Effectivement. Alors restons sur cette jolie image du papa immigré sur son vélo faisant une virée le long de la rivière avec sa mouflette toute fière de lui montrer qu’elle aussi sait mener sa barque pardon : sa bicyclette.
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