Mars 2003-mars 2005

Publié le 13 mars 2005 Lecture : 6 minutes.

En deux ans, ceux qui ont conçu et mis à exécution le plan diabolique qui leur permet de se maintenir au pouvoir en Amérique et de dominer le monde sont passés de la guerre tout court à une offensive politico-médiatique visant à la justifier et à en recueillir les fruits.
C’était il y a vingt-quatre mois : le 19 mars 2003, les armées anglo-américaines envahissaient l’Irak pour, nous ont dit et répété à l’envi George W. Bush et Tony Blair, « éliminer cette menace terrifiante pour le monde entier que sont les armes de destruction massive dont nous savons (sic) que Saddam Hussein les tient… prêtes à entrer en action en quarante-cinq minutes (resic) ».
Ils ont vécu sur ce mensonge, un des plus gros de l’Histoire, aussi longtemps qu’ils ont pu (près d’un an). Et l’ont remplacé, en 2004, par une autre prétention tout aussi mensongère : nous sommes en Irak pour conduire ce pays de la dictature à la démocratie. Et, d’ailleurs, nous prenons la tête d’une croisade (encore une) pour répandre la démocratie et la liberté sur tous les pays du Grand Moyen-Orient, et même au-delà.
La nouvelle secrétaire d’État Condoleezza Rice a même claironné :
« Nous ferons de la propagation de la liberté le principe directeur du XXIe siècle ! »

En ce mois de mars 2005, comme vous l’avez observé et senti, nous sommes l’objet d’une offensive politico-médiatique intense, forcenée, dont le message central est celui-ci : regardez les élections du 30 janvier en Irak, voyez ce qui se passe au Liban, ou même en Égypte et en Arabie saoudite ! Les peuples bougent, la tyrannie recule et la liberté progresse. Grâce à nous, néoconservateurs américains, vous assistez à un « printemps arabe ». Bush est plus grand encore que Reagan… Regardez comme tremble devant lui le tyranneau syrien (« Je ne suis pas Saddam, moi. Je veux collaborer. »*) et comment il a apprivoisé le dictateur libyen…
Je note que ce message porte : les meilleurs journaux le véhiculent, des commentateurs sérieux s’en font l’écho, et beaucoup en arrivent même à nous poser la question : et si George W. Bush, dont vous nous dites tant de mal, était mieux inspiré que vous ne le pensez et si, à la fin des fins, il avait raison ?

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Non ! Bush n’a pas plus raison que les prêtres (laïcs) du colonialisme – anglais et français principalement – qui, au XIXe siècle, ont lancé leurs pays dans l’aventure coloniale. Ils ont alors proclamé qu’ils prenaient la tête d’une « mission civilisatrice » et allaient conduire l’Asie et l’Afrique des ténèbres à la lumière, de l’obscurantisme à la liberté.
Le colonialisme a secoué les peuples colonisés et a fini par les réveiller. Mais son dessein réel était la domination politique et l’exploitation économique.
La « mission civilisatrice » des colonisateurs a été ponctuée d’humiliations diverses, d’asservissement et de massacres. Les peuples qu’on était venu civiliser ont vu leurs terres agricoles et leur patrimoine minier passer aux mains des colonisateurs. Ils ont dû fournir à leurs métropoles respectives, pour les guerres européennes, beaucoup de chair à canon et ne se sont libérés de leurs « libérateurs » que par la lutte armée.

Le colonialisme n’a pas eu cependant que des effets négatifs, car il a obligé les peuples colonisés à prendre conscience de leur retard et à vouloir la modernité. Mais c’était un… bienfait collatéral.
Et cette bise de liberté qui souffle en ce moment sur certains peuples arabes (et quelques autres) n’est, elle aussi, qu’un bienfait collatéral du bushisme.
Mais le bushisme est ce que nous en avons dit, et j’ajoute qu’à mon avis il empire de mois en mois.
Sa doctrine, comme ses actes, en font un hégémonisme de plus en plus pesant et dont nous aurons du mal à desserrer l’étreinte.

La liste est longue des manifestations de cet hégémonisme, dont la « croisade pour la liberté et la démocratie » n’est qu’un instrument. Faute de place, je n’en cite ci-dessous que quelques-unes.
– La guerre d’Irak. La manière dont, ce 4 mars, a été tué Nicola Calipari, l’officier italien qui conduisait à l’aéroport de Bagdad Giuliana Sgrena, l’otage qu’il venait de libérer (voir pages 22-23 l’article de François Soudan et Marcel Péju), révèle, à ceux qui en doutaient, les méthodes de l’armée américaine d’occupation et la licence qu’elle s’octroie : liberté de tir, sans sommation.
Tout suspect est tué ; on vérifie après, et on passe par pertes et profits.
Des meurtres comme celui de Calipari, il y en a des dizaines par jour depuis deux ans. Les victimes sont irakiennes et se chiffrent par milliers sans qu’on se donne même la peine de les dénombrer.
Je ne crois pas que l’armée russe fasse pire en Tchétchénie.
– La démocratie au Moyen-Orient. Ils nous disent qu’ils vont la propager. Pourquoi alors ne l’ont-ils pas favorisée au Koweït, qu’ils ont libéré en 1991 et qu’ils contrôlent depuis quatorze ans ? Ou au Pakistan de Musharraf, allié majeur ? Ou en Égypte, à qui ils versent plus de 2 milliards de dollars d’aide par an depuis vingt-cinq ans ?
S’ils ne l’ont pas fait, c’est qu’à un allié docile ils demandent seulement de ne pas exagérer, de sauver les apparences.
– Est-ce pour défendre la démocratie dans le monde arabe qu’ils embêtent (et cherchent à faire taire) Al-Jazira, la chaîne de télévision arabe qui a fait le plus pour contrer les autocrates arabes ? Et qu’ils ont laissé leurs protégés irakiens fermer arbitrairement les portes de leur pays à cet organe d’information ?
– En violation du droit international, Bush s’est permis d’écrire à son ami Sharon pour l’assurer :
– qu’il n’y aura pas de droit au retour pour les Palestiniens ;
– qu’Israël pourra garder et Jérusalem et une partie de la Cisjordanie.
Même Mahmoud Abbas, que les dirigeants américains font semblant de traiter en ami – et qui veut l’être -, s’est senti obligé de réagir : « Le président Bush n’a pas le droit de préjuger ainsi ; il ne peut pas s’engager pour le peuple palestinien et à son détriment », a-t-il déclaré dans une interview à Time parue la semaine dernière.
– Lutte contre la pollution ; participation à la Cour internationale de justice : nous, néoconservateurs américains, disons niet et niet :
– notre pays gardera le droit de polluer à volonté ;
– nos militaires et nos civils ne pourront en aucun cas, et quoi qu’ils aient fait, être recherchés par une justice internationale ; en revanche, notre justice peut faire enlever qui elle veut, où elle veut, quand elle veut, l’amener aux États-Unis et le condamner.
– Nations unies. Si le secrétaire général ne se soumet pas à notre volonté, il sera démis et portera, en plus, le chapeau pour les scandales que nous aurons dévoilés.
Et, pour que nul ne s’y méprenne, nous nommons comme représentant permanent des États-Unis à l’ONU notre épouvantail numéro un, John Bolton (voir pages 16-17 l’article de François Soudan).
Celui-là même qui a déclaré, tout récemment encore :
« Pour résoudre les litiges internationaux, les États-Unis n’ont à débattre qu’avec eux-mêmes. »
« Le Conseil de sécurité ne devrait avoir qu’un seul membre permanent doté du droit de veto : les États-Unis. »
« Les traités internationaux que nous signons ne nous engagent pas juridiquement et ne sont que des obligations politiques. »
John Bolton, mieux encore que « l’ancien » Rumsfeld, personnifie et exprime les néoconservateurs américains. Sa nomination à un poste aussi visible que celui de représentant permanent aux Nations unies est un message : que ceux qui ne sont pas rangés sous notre bannière le sachent et « fassent gaffe » : nous pouvons être encore plus méchants…

« Démocratie », « liberté » : deux grands mots que ces messieurs utilisent pour justifier leur entreprise de domination du monde et dont ils ont fait un paravent derrière lequel ils cachent leurs actions les plus douteuses.

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* Déclaration à l’hebdomadaire américain Time.

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