Sur les pas de Chirac

Dakar, Brazzaville, bain de foule et poignées de main, réunions de « famille » et séances de travail, petits apartés et grands discours…

Publié le 13 février 2005 Lecture : 5 minutes.

Dans la capitale sénégalaise, où il ne s’était plus rendu depuis juillet 1995, Jacques Chirac s’est retrouvé ce 2 février dans son élément. Son cortège, bloqué par une foule toujours plus enthousiaste à mesure qu’il se rapprochait du Palais de l’avenue Léopold-Sédar-Senghor, la résidence officielle d’Abdoulaye Wade, a dû s’arrêter pour le laisser parcourir, à pied, avec son hôte, les quelques centaines de mètres le séparant de la grille d’entrée du bâtiment. Le président français s’est livré à son exercice favori, le bain de foule, n’hésitant pas à bousculer un service d’ordre dépassé pour aller serrer des mains ou ramasser un bouquet de fleurs. Garde à cheval, tam-tams, majorettes : les autorités sénégalaises avaient mis les petits plats dans les grands.
Les rumeurs d’incompréhensions qui avaient entouré la relation Wade-Chirac depuis l’élection du premier à la magistrature suprême, en mars 2000, n’ont plus lieu d’être. Les deux présidents ont donné l’impression de se connaître et de s’apprécier comme de vieux amis. Pour ne pas marcher sur les traces de George W. Bush, dont la visite à Gorée en juillet 2003 était marquée par des mesures de sécurité exceptionnelles et excessives, Chirac a sacrifié la rituelle visite de l’île aux esclaves et a préféré faire un crochet d’une matinée à Saint-Louis.
L’ancienne capitale du Sénégal et de l’Afrique-Occidentale française, patrie des Signares, les métisses franco-sénégalaises chantées par le poète, est la ville emblématique d’une amitié vieille de plus de trois cents ans. La France a promis de financer la rénovation du Pont-Faidherbe, une impressionnante structure métallique, inaugurée en 1897 et aujourd’hui dévorée par la rouille. Autres gestes symboliques : l’hommage aux tirailleurs sénégalais, héros de la Seconde Guerre mondiale, et, surtout, le dépôt d’une gerbe sur la tombe de Léopold Sédar Senghor au cimetière dakarois de Bel-Air. Le seul moment de détente que s’est accordé Chirac au cours de son séjour aura été un dîner privé au restaurant chic Le Lagon, sur la Corniche, en compagnie du sculpteur Ousmane Sow et du musicien Youssou Ndour, une vieille connaissance. La romancière Fatou Diome et Coumba Aidara, l’adjointe de Jean-Louis Debré à la mairie d’Évreux, deux des invitées personnelles du locataire de l’Élysée, ont participé au repas.
Les Sénégalais ont saisi l’occasion du séjour de Chirac pour faire parler leur sens de la teranga (« hospitalité », en wolof). « Ici, ce n’est pas la Côte d’Ivoire. Les Français sont nos amis, et ils sont les bienvenus », raconte Oumar Seck, rencontré place de l’Indépendance. Wade n’a pas dit autre chose en invitant les entrepreneurs français chassés d’Abidjan à s’installer à Dakar. Si l’Afrique de l’Ouest, dans son ensemble, venait à être assimilée à la Côte d’Ivoire, les conséquences seraient désastreuses pour la sous-région. 80 % des flux d’investissements directs étrangers reçus par le Sénégal en 2003 étaient d’origine française.
Finalement, le voyage n’aura été marqué que par un seul « couac » : des pickpockets ont profité de l’agitation créée par les apparitions du chef de l’État français pour faire les poches des confrères et des membres de la délégation. Des téléphones portables ont disparu. Et deux gardes du corps français se sont fait subtiliser leurs portefeuilles. Un comble ! La presse locale s’en est émue, et un des indélicats a été pris de remords : il s’est présenté à l’aéroport pour restituer un des portefeuilles dérobé, au moment où l’Airbus présidentiel s’apprêtait à décoller pour Brazzaville…
À son arrivée dans la capitale congolaise, ancienne capitale de l’Afrique-Équatoriale française et de la France libre, la délégation française a découvert une ville en état de siège. Rues vides et bloquées, quadrillage militaire, port du badge obligatoire, fouilles de rigueur : autres lieux, autres moeurs, Brazzaville n’est pas Dakar. Il est vrai que la ville accueillait pas moins de huit chefs d’État – Joseph Kabila, invité au sommet sur la forêt, n’est arrivé que le lendemain aux premières heures de la matinée, par le fleuve, et n’a donc pas pris part au dîner offert, le 4 février, par le président Denis Sassou Nguesso. Un grand chapiteau avait été dressé pour la circonstance dans les jardins du palais du Peuple pour accueillir le millier d’invités. Au menu : saumon et autres poissons, veau aux champignons, pâtisseries françaises, vins fins, et danses folkloriques.
Une heure avant ces agapes, présidents et premières dames s’étaient retrouvés à la résidence présidentielle de Mpila. Aparté savoureux entre Sassou et le Tchadien Idriss Déby : « Tu vas voir, le pétrole, ça change la vie », a lancé le premier au second. Hilare, Chirac s’est excusé auprès des premières dames pour l’absence de son épouse Bernadette : « Elle aurait aimé être avec nous, mais elle est retenue à Paris pour son Opération pièces jaunes et m’a chargé de vous embrasser ! »
Couché vers minuit et demi, le président français a rejoint son homologue congolais aux aurores, le lendemain, pour une rencontre en tête à tête. Chirac a-t-il évoqué l’affaire des disparus du Beach pour laquelle la justice française a fini par se déclarer incompétente ? A-t-il conseillé à son ami de « faire un geste » et de laisser rentrer à Brazzaville l’ancien président Pascal Lissouba et l’ex-Premier ministre Bernard Kolélas, chassés du pays après leur défaite militaire en octobre 1997 ? « Ici, beaucoup de gens ont cru que Chirac les ferait venir avec lui dans son avion, rapporte un journaliste de la place. Les exilés ne constituent plus aujourd’hui une menace politique. Mais ils posent un problème humanitaire. Ils sont vieux, et ce ne serait pas bien s’ils ne finissaient pas leurs jours au pays. Mais s’ils veulent rentrer, c’est à eux de faire le premier pas. »
Mais rien n’a filtré des entretiens bilatéraux. Rejoints par le « doyen » Omar Bongo Ondimba, le président gabonais, Chirac et Sassou ont ensuite procédé à la pose de la première pierre du monument dédié à l’explorateur français Pierre Savorgnan de Brazza. On fêtera le centenaire de sa mort en septembre prochain, et ses cendres, qui reposent à Dakar, seront transférées à Brazzaville.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires