Prédictions au temple de Senso-ji
Publié le 13 février 2005 Lecture : 3 minutes.
Aller à Tokyo sans visiter le quartier d’Asakusa, où se trouve le temple de Senso-ji, serait plus que sacrilège. Cet imposant sanctuaire, l’un des plus vénérés de la ville, doit son existence à une petite statue en or représentant la déesse de la Miséricorde. Kannon a surgi des eaux en l’an 628, remontée, par un heureux hasard, dans les filets de deux pêcheurs. La divinité, promptement enchâssée par les habitants d’Asakusa, se verra édifier, quelques années plus tard, le temple de Senso-ji.
On m’avait prévenue : « Ne t’avise pas de quitter Tokyo sans rendre hommage à Kannon. » Je me suis donc inclinée… sans savoir que j’allais, en plein pays zen, faire une immersion dans ce qui est, à coup sûr, l’un des endroits les plus pittoresques de la ville.
Le spectacle commence dès la sortie du métro. À peine me suis-je trouvée à l’air libre que des moines mendiants se sont précipités vers moi, rivalisant d’astuce pour me soulager de ma menue monnaie. Une tradition qui remonte à l’ère Edo (xvie siècle). Il m’a fallu ensuite passer sous une imposante lanterne de papier rouge, où des dizaines de touristes se faisaient photographier, avant de pouvoir emprunter l’allée longue de 250 mètres qui mène au Senso-ji. Si le chemin n’est pas semé d’embûches, il est flanqué d’innombrables échoppes qui représentent autant de tentations. Délicats éventails aux coloris exquis, kimonos en soie peints à la main, poupées japonaises au pâle visage de geisha, lanternes de papier, gadgets électroniques et souvenirs en tout genre happent l’oeil du passant, ralentissant sa marche. Mais une fois sorti du profane mercantile, l’entrée dans le sacré est une récompense. En face de moi, devant le temple, se profile le daikoro, un énorme brûleur d’encens, tapi tel un gros dragon soufflant une haleine grise. Des volutes de fumée s’échappent de ce vaste chaudron autour duquel les passants s’arrêtent un instant. Je les regarde humer voluptueusement les vapeurs d’encens, faisant de grands moulinets avec leurs bras pour tenter d’attirer la fumée vers eux. Un Japonais s’approche et me dit : « Allez-y, faites comme eux, imprégnez-vous de ce parfum, ça aide à conserver la santé ! » Puis, sans autre forme de procès, il m’arrache mon appareil photo des mains et me pousse d’une bourrade vers la bête fumante. « Allez-y, je vais vous prendre en photo ! » Je m’exécute et, comme les autres, je m’absorbe dans le rituel, me drapant tout entière dans l’âcre écharpe. Quelques photos plus tard, manteau et cheveux empestant les feuilles brûlées, je récupère mon bien, espérant gravir les marches du temple pour enfin le visiter. C’était sans compter mon autoritaire Japonais. « Vous n’allez pas partir sans vous faire prédire l’avenir ! » Il m’empoigne et m’entraîne au pas de course vers une sorte de grande armoire qui contient une centaine de petits tiroirs numérotés. Il me tend une grosse boîte percée à sa base. « Secouez-la bien et ensuite faites tomber une baguette. » J’obéis et fais glisser une baguette numérotée. Mon ami commis d’office regarde le chiffre et me montre le tiroir correspondant. « Ouvrez-le et prenez la prédiction. » Je m’exécute, mais il m’arrache la feuille des mains, la lit et pousse un grand cri. Malédiction ! Ce hurlement de mauvais augure me prévient que tous les malheurs du monde vont se déverser sur ma tête. Je le regarde, anxieuse. « C’est extraordinaire, vous avez tiré le numéro 85, la meilleure fortune ! » Ouf, je préfère ça ! Je récupère mon bout de papier pour en lire le verso, traduit en anglais. À l’en croire, les meilleures choses devraient m’arriver en 2005. Mon « ami » s’en va, tout sourires, avec l’impression d’avoir accompli une bonne action. Je pénètre enfin dans le temple et lance dévotement, comme tous les visiteurs, des pièces de monnaie dans un énorme bac d’offrande, puis m’incline avec déférence devant Kannon la miséricordieuse, l’implorant de me pardonner mes péchés passés, présents… et futurs.
