Les « vieilles » jeunes filles
Publié le 13 février 2005 Lecture : 1 minute.
Il y a trois mois, je me suis rendue en visite dans mon pays natal, le Liberia. J’avais prévu de revoir le père d’une ancienne camarade d’école, et nous avions rendez-vous dans un restaurant de Monrovia. Il était assis à une table dans un coin du restaurant, en compagnie d’une jeune fille. Dès que je les ai aperçus, j’ai senti une sourde colère m’envahir. La fille pouvait difficilement avoir plus de 16 ans, lui approche les 70 ans. « Ma petite amie », me dit-il. Aucune trace de gêne dans sa voix, il était parfaitement à l’aise de s’exhiber avec une adolescente, vraisemblablement orpheline de guerre sans aucun – autre – moyen d’existence.
J’étais choquée et pourtant son attitude n’avait rien que de très ordinaire. Il se trouve que la veille j’avais entendu, lors d’un mariage, un autre homme d’âge mûr, ancien ministre, estimer que sa propre petite amie devenait trop vieille pour lui. « Elle vient d’avoir 17 ans », avouait-il en riant. Les gens autour de lui hochaient la tête avec des airs de dire « ah, les hommes seront toujours les hommes ».
Les filles africaines vivent depuis toujours avec la hantise d’être violées par des militaires ivres, qu’ils soient rebelles ou soldats gouvernementaux. La vie d’une adolescente sur le continent n’est jamais facile, et les dangers qu’elle côtoie sont innombrables, des mutilations génitales à la prostitution enfantine. Le viol de femmes et des filles est devenu presque de rigueur [en français dans le texte] dans les guerres africaines, de la Sierra Leone à la Côte d’Ivoire, du Burundi au Soudan en passant par le Rwanda.
À travers le visage du père de mon amie, ce jour-là au restaurant, je voyais l’histoire de toutes les Africaines. Sa compagne avait le même âge que mon amie et moi, au temps de nos balades d’école. Je me demande si le vieil homme pense à sa propre fille lorsqu’il pose son regard sur cette « petite amie ». Personnellement, je crains que non.
