Mohya

Le poète algérien est décédé le 7 décembre à Paris.

Publié le 12 décembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Sans doute aurait-il aimé revoir sa Kabylie natale avant de rendre son dernier souffle. Une tumeur au cerveau, sournoise et tenace, en a décidé autrement. Mohya, poète et dramaturge kabyle, est décédé le mercredi 7 décembre à la Maison médicale Jeanne-Garnier, dans le 15e arrondissement de Paris, loin des montagnes du Djurdjura qui l’ont vu naître, il y a cinquante-cinq ans. Encore un poète mort en exil ? À vrai dire, pour cet homme qui a quitté l’Algérie au début des années 1970, la France n’a pas été une terre d’exil mais plutôt un refuge, avant de devenir une seconde patrie. Celle-là même qui lui a permis de donner libre cours à ses talents d’artiste. Mohya, de son vrai nom Mohand Ouyahya Abdellah, est un personnage atypique dans le paysage artistique et littéraire algérien. Recueils de proverbes et de poèmes, pièces de théâtre, traductions en tamazight de grands titres de la littérature universelle, adaptations de contes pour enfants, représentations théâtrales et recueils de chansons contestataires, l’uvre de Mohya est aussi abondante que multiforme.

Étudiant en mathématiques à la fin des années 1960, il plonge vite dans le milieu de la cause berbère en suivant les cours de tamazight dispensés par l’écrivain Mouloud Mammeri
à la faculté centrale d’Alger. Dans sa chambre d’étudiant, entre un cours sur les logarithmes et une lecture d’une pièce de Bertold Brecht, Mohya écrit des textes contestataires qui seront plus tard interprétés par les grosses pointures de la chanson kabyle telles Idir, Slimane Azem, Ferhat Imazighen Imoula et le trio féminin Djurdjura. Il fallait oser à une époque où parler en kabyle dans les rues algéroises pouvait valoir les quolibets des passants, à une époque où revendiquer un statut pour la langue berbère était passible de prison.
Dans cette Algérie dirigée d’une main de fer par le colonel Boumedienne, Mohya étouffe. Lui, le féru de Beckett, Voltaire, Nazim Hikmet, Sophocle, Platon et Socrate se sent opprimé par le système du parti et de la pensée unique. Alors, comme nombre de ses compatriotes, il part en France pour poursuivre ses études. À Paris, il peut enfin s’adonner à ses passions : l’écriture et le théâtre. Il traduit en kabyle les textes de Boris Vian et de Louis Aragon, adapte les pièces de Pirandello et Jarry en contes pour enfants et monte une troupe de théâtre qui se produit occasionnellement dans le quartier de la Goutte d’or.

la suite après cette publicité

Parce que le métier ne nourrit pas son homme, il rachète une épicerie à Richelieu-Drouot et vend des denrées alimentaires à des vieilles dames dont le nombre ne dépasse pas quinze. Au fur et à mesure que ses clientes meurent, son chiffre d’affaires s’amenuise.
Mais qu’importe ! Le local sert d’atelier d’écriture et de lieu de rendez-vous pour les
artistes et les copains. Son fonds de commerce est davantage les poèmes, les pièces de théâtre que les boîtes de petits pois.
Et c’est dans cette boutique poussiéreuse, plus tard revendue à des Chinois, qu’il enregistre ses fameuses cassettes, ensuite dupliquées par ses soins sur des magnétos déglingués et distribuées gratuitement. Mohya a en effet toujours mis un point d’honneur à ne jamais faire commerce de son travail artistique. Chaque année, il envoie des centaines de livres au profit des bibliothèques de Kabylie. Interdites en Algérie, ses oeuvres s’écoulent sous le manteau. S’il fait l’admiration de ses compatriotes, rare sont ceux qui savent encore aujourd’hui qu’il est l’auteur d’une célèbre chanson, « Tahya Brisidane » (« Vive le président »), dans laquelle Ferhat Imazighen Imoula qualifie Chadli Bendjedid, arrivé au pouvoir en 1979, d’ « oignon pourri ».

C’est là tout Mohya: quand il ne raille pas les officiels, se répand en critiques sur ses concitoyens, qu’il qualifie de « brobros », un terme péjoratif pour désigner les militants radicaux de la cause berbère. S’il est viscéralement attaché à sa terre natale un de ses amis se souvient que lorsqu’il mangeait un sandwich, il l’enduisait toujours d’huile d’olive venue de Kabylie , l’homme s’est toujours tenu à une bonne distance de cette ferveur, virant parfois à l’extrémisme, qui entoure la revendication berbère. « Il était sans illusion pour ce mouvement. D’ailleurs, il détestait les symboles et les manifestations folkloriques », témoigne un chanteur.
Perclus par la maladie, il passe les derniers mois de sa vie à relire les penseurs de l’Antiquité. Mohya, le poète kabyle, ne pouvait imaginer meilleurs compagnons que Platon et Socrate pour le veiller au crépuscule de sa vie.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires