Malaise chez les francophones

Publié le 12 décembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Le syndicat des chefs d’État étant ce qu’il est – une coterie où ne règnent ni la charité ni la sincérité en dépit des proclamations rituelles de fraternité -, Thabo Mbeki doit sans doute savoir qu’il est attendu au tournant de la crise ivoirienne par une bonne partie de ses pairs africains. Francophones en particulier. En grande majorité hostiles à Laurent Gbagbo, parfois déçus que la France ne soit pas allée « jusqu’au bout » de son engagement militaire à Abidjan début novembre, ces derniers apprécient peu l’intrusion du président sud-africain au coeur d’un dossier interne à la « famille » francophone. Poids lourd bardé de toutes les références morales de la « nation Arc-en-Ciel », à la fois outsider et indépendant, Mbeki est certes difficilement récusable a priori – au nom de quoi le serait-il d’ailleurs, puisque son intervention a reçu l’aval de toutes les parties concernées. Mais la médiation qu’il mène est en soi porteuse d’un petit bouleversement mal vécu dans les palais présidentiels de l’ex-pré carré : en cas de réussite, ce serait la première fois qu’une crise « francophone » serait résolue par un anglophone. Du coup, les doyens, baobabs et autres « sages » du club, dont l’incontournable capacité à résoudre les problèmes par la palabre a toujours constitué un argument de promotion vis-à-vis des bailleurs de fonds (et en particulier de Paris), se verraient renvoyés au magasin des accessoires.
On n’en est certes pas là et, d’ailleurs, ces choses ne se disent pas en public. D’Abdoulaye Wade à Omar Bongo Ondimba, de Gnassingbé Eyadéma à Denis Sassou Nguesso, en passant par Jacques Chirac, Abdou Diouf et quelques autres, nombre de médecins se sont penchés au chevet du malade ivoirien et tous ont jusqu’ici échoué. Critiquer officiellement le dernier venu parce qu’il ne provient pas de la même faculté serait donc pour le moins déplacé. C’est donc en privé, entre soi, que l’on souhaite à Thabo Mbeki « bon courage dans cette galère » et qu’on lui promet « bien du plaisir ». Et c’est en tête à tête avec un de ses frères de la même région que lui qu’un chef d’État d’Afrique centrale a eu ce commentaire : « Mbeki est trop naïf, Gbagbo va le rouler, ses chances de parvenir à un vrai résultat sont quasi nulles. » Avant d’ajouter : « Ça lui fera les pieds. »
Due à ce qui est presque ressenti comme un viol de domicile, cette réaction épidermique alimente le fond de méfiance que la plupart des présidents francophones ont toujours nourri à l’égard de leur collègue sud-africain. Trop donneur de leçons à leur goût, trop prétentieux lorsqu’il assure parler au nom de l’Afrique ou lorsqu’il prend une initiative sans les consulter (ce qui est à peu près le cas pour la Côte d’Ivoire), trop dominateur quand il semble les réduire à l’état de simple chambre d’enregistrement de ce directoire autoproclamé du continent qu’est l’axe Pretoria-Abuja-Alger. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce malaise rejoint d’ailleurs, en partie, celui de la France. Certes, en apparence, tout baigne entre Chirac et Mbeki, qui partagent la même aversion pour l’unilatéralisme américain et les mêmes réticences à l’encontre de toute politique de sanctions – vis-à-vis du Zimbabwe ou du Soudan par exemple. Mais les divergences entre les diplomaties des deux pays à propos de Haïti et du Sahara occidental sont suffisamment vives pour qu’on avoue à Paris ne pas savoir toujours à quoi s’attendre de la part de Pretoria, ni sur quel pied danser. « Mbeki est pourtant très prévisible, souligne un diplomate qui le connaît bien. À ses yeux, la France est incontournable en Côte d’Ivoire, mais c’est aussi une puissance néocoloniale au passé chargé dont la politique africaine est guidée par des intérêts commerciaux. Pour lui, la présence de bases militaires françaises sur le continent n’a pas de raison d’être, et les chefs d’État qui l’acceptent n’ont pas achevé leur décolonisation mentale. Si Paris pense que la médiation Mbeki va se conclure par un chèque en blanc au profit de sa politique ivoirienne, eh bien Paris se trompe. »

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