Abdallah al-Badri : « Le retour des Américains est imminent »

Une interview du patron de la National Oil Company (NOC), la compagnie pétrolière nationale.

Publié le 12 décembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Depuis la levée des sanctions internationales, la normalisation progressive des relations entre le régime de Mouammar Kadhafi et les pays occidentaux et l’ouverture du marché énergétique libyen qui s’est ensuivie, chefs d’État et de gouvernement se bousculent au portillon, à Tripoli. C’est la ruée vers l’or noir ! La National Oil Company (NOC), qui coiffe l’ensemble du secteur des hydrocarbures, estime que le montant des investissements jusqu’en 2010 devrait avoisiner 30 milliards de dollars. Dans le cadre de sa toute nouvelle politique de transparence, elle se propose d’offrir aux compagnies du monde entier – y compris, donc, américaines – la possibilité de participer à des enchères publiques en vue de la conclusion d’accords d’association. Avec pour objectif de lancer l’exploration et la production dans la partie du sous-sol libyen encore inexplorée (environ les deux tiers du total).
Déjà septième producteur mondial de pétrole, la Libye est, de l’avis de tous les experts, le pays le plus prometteur d’Afrique : son pétrole est unique, parce que plus léger que celui des autres producteurs. Son sous-sol recèle de surcroît d’énormes potentialités. L’Opep évalue ses réserves pétrolières prouvées à 39 milliards de barils et ses réserves gazières à 1 432 milliards de m3, mais certains spécialistes estiment qu’elles pourraient être trois fois plus importantes.
Président de la NOC, Abdallah al-Badri (64 ans) fait le point sur l’état du marché mondial, sur les réformes engagées par son pays dans le secteur énergétique, sur les conséquences de la levée de l’embargo qui frappait certains équipements. Partisan de l’ouverture de l’économie libyenne aux investissements étrangers, il évoque surtout le fait que, pour la première fois depuis dix-huit ans, dix-sept compagnies américaines figurent parmi les candidats à l’obtention de permis d’exploration. Parmi elles, Chevron Texaco, Marathon Oil et Conoco-Philips. Celles qui ont déjà travaillé en Libye devraient être prochainement autorisées à reprendre leurs activités, sur les mêmes gisements et dans les mêmes conditions.

Jeune Afrique/l’intelligent : Vous venez de mettre aux enchères quinze zones, couvrant cinquante-huit blocs, en vue de l’exploration et de la production pétrolières…
Abdallah al-Badri : En 1999, nous avons adopté une nouvelle loi concernant l’attribution des permis dans le domaine de l’exploration : l’adjudication publique a remplacé le gré à gré. Mais la poursuite de l’embargo [jusqu’en 2003] ne nous a malheureusement pas permis de l’appliquer. Cet obstacle est aujourd’hui levé.
J.A.I. : Combien de compagnies ont-elles manifesté leur intérêt ?
A.A.B. : À ce jour, nous avons reçu des offres de cent vingt-trois compagnies. Les américaines, les européennes et les canadiennes sont toutes, sans exception, sur les rangs. À la mi-octobre, nous avons procédé à une évaluation de leur capacité à mener à bien notre programme d’exploration. Un premier écrémage nous a permis d’écarter celles qui ne nous ont pas paru suffisamment outillées. La sélection va se poursuivre, et les résultats seront annoncés au cours de la deuxième semaine du mois de janvier.
Une deuxième vague de mises aux enchères sera lancée aussitôt après. Au total, il devrait y en avoir six ou sept.
J.A.I. ! Quel est pour vous l’intérêt de ces accords d’association ?
A.A.B. : La formule nous permet de concurrencer valablement les autres pays producteurs. Nous avons souhaité instaurer avec nos partenaires une relation de type win-win (tout le monde est gagnant). Le principe de base est que toutes les découvertes, grandes ou petites, doivent être développées. Dans les petits gisements, la formule permet de poursuivre le développement même dans l’hypothèse d’une baisse des cours. Dans les gisements les plus attractifs, comme Syrte ou Morzouk, 65 % des bénéfices reviennent à la NOC, et 35 % à son partenaire.
Quant à la décision d’accorder autant d’intérêt au gaz qu’au pétrole, elle marque un véritable tournant de notre politique. Nous venons d’inaugurer un gazoduc vers l’Europe (J.A.I. n° 2284) et avons l’intention de développer de nouveaux gisements gaziers, avec deux objectifs bien distincts : satisfaire le marché local et vendre du gaz naturel liquéfié (GNL) sur les marchés mondiaux.
J.A.I. : Envisagez-vous des privatisations dans le secteur de l’énergie ?
A.A.B. : Non, cette formule d’association nous permet d’en faire l’économie. La situation est différente dans le secteur du raffinage, où nous souhaitons moderniser nos installations afin d’augmenter nos capacités de production. Actuellement, nos raffineries de Zawia et de Ras Lanuf ne produisent guère plus de 380 000 barils/jour, ce qui est nettement insuffisant. Nous sommes donc prêts à céder une partie du capital de ces deux raffineries. Des négociations sont en cours avec plusieurs compagnies étrangères. Certaines proposent de participer au financement de la modernisation, d’autres sont intéressées par l’acquisition de parts du capital.
J.A.I. : Dès 1982, les compagnies américaines ont abandonné la production pétrolière en Libye, conformément aux sanctions décidées par Washington. Où en sont les négociations en vue de leur retour ?
A.A.B. : Elles se sont accélérées depuis la levée de l’embargo. Nos positions respectives ne sont plus très éloignées et je ne serais pas surpris que, dans deux ou trois mois, les contrats précédemment conclus avec ces compagnies soient reconduits, chaque partie s’engageant alors à les respecter sans conditions.
J.A.I. : Les conséquences de la levée définitive des sanctions onusiennes, puis américaines, commencent-elles à se faire sentir ?
A.A.B. : Bien sûr, la levée des sanctions favorise notre industrie pétrolière. Le délai nécessaire pour importer des équipements dits sensibles s’est considérablement réduit : une semaine suffit désormais, au lieu de trois ou quatre mois auparavant. Après la fin d’un embargo qui aura duré près de vingt ans, la technologie américaine nous sera bientôt accessible, aussi bien dans le domaine de l’exploration que dans celui de la production. Nos anciens fournisseurs commencent à renouer le contact. On sent qu’ils ne demandent qu’à revenir…
J.A.I. : Quelle analyse faites-vous de la situation du marché ? Et quelle est votre position sur les hausses des cours mondiaux ?
A.A.B. : La hausse des cours qui affecte les produits pétroliers tient évidemment aux aléas de la conjoncture mondiale, que ces événements concernent ou non des pays membres de l’Opep. Selon certains analystes, les facteurs politiques contribueraient à cette augmentation à hauteur de 10 %. À cela s’ajoutent certains problèmes structurels liés à l’augmentation de la demande en Chine et en Inde.
Pour notre part, nous sommes favorables à un cours raisonnable et stable, parce que des hausses et des baisses brutales ne favorisent ni les producteurs ni les consommateurs. Nous voulons un prix qui s’inscrive dans la durée.
J.A.I. : L’Opep s’efforçant de freiner la hausse des cours, le quota de production attribué à la Libye est passé, le 1er novembre, de 1,392 million à 1,466 million de barils par jour. Êtes-vous prêts à répondre à une augmentation de la demande ?
A.A.B. : Nous produisons déjà plus de 1,6 million de barils par jour. Et nous envisageons de dépasser le cap des 2 millions en 2007 et celui des 3 millions en 2010, si toutefois notre programme d’exploration en cours est un succès.
J.A.I. : La NOC et l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières (Etap) sont associées sur le permis dit du 7-Novembre, dans le golfe de Gabès. Joint Oil, la compagnie qu’elles ont créée conjointement, a, en 1997, confié l’exploration à un consortium qui n’est pas encore parvenu à atteindre le stade de la production…
A.A.B. : Joint Oil a accumulé les déboires. Nous sommes en train de reprendre de fond en comble les études géologiques. Parallèlement, nous essayons, de concert avec nos frères tunisiens, de donner une seconde chance à cette compagnie en l’autorisant à opérer dans d’autres bassins, en Libye et en Tunisie.
J.A.I. : Où en est le projet de pipeline destiné à acheminer du gaz libyen en Tunisie ?
A.A.B. : Au stade de la recherche d’un financement.

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