Vol de colombes sur la Maison Blanche

Après la déroute des républicains aux élections du 7 novembre, Robert Gates remplace Donald Rumsfeld à la tête du Pentagone. Sale temps pour les faucons !

Publié le 12 novembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Recette texane pour surmonter une défaite : faire le contraire de ce qu’on a fait et dit jusqu’ici et écouter les conseils pleins de sagesse prodigués par papa. En caricaturant – un peu -, c’est exactement celle que George W. Bush a appliquée au lendemain des élections de la mi-mandat perdues, le 7 novembre. Dès le lendemain, le président américain a offert sur un plateau aux élus démocrates, désormais majoritaires à la Chambre des représentants et au Sénat, ce qu’ils exigeaient : la tête de Donald Rumsfeld, 74 ans, secrétaire à la Défense et maître d’uvre de l’intervention en Irak. Une semaine auparavant, le même Bush avait pourtant affiché sa volonté de conserver à ses côtés l’architecte du plus grand fiasco américain depuis la guerre du Vietnam, jusqu’au terme de son mandat, fin 2008. Quelles que soient les contorsions sémantiques auxquelles le président s’est livré pour expliquer ce revirement – à l’entendre, ce limogeage était prévu depuis plusieurs semaines, mais il fut gardé sous le coude afin de ne pas influer sur la campagne électorale -, il s’agit bien là d’un sacrifice. Et d’un désaveu. Commentaire d’un bon observateur : « C’est du Chirac ! »
Un train en cachant un autre, le lâchage en rase campagne de Rumsfeld – auquel aurait tenté jusqu’au bout de s’opposer le vice-président Dick Cheney, aujourd’hui totalement isolé – induit une petite révolution copernicienne dans la manière dont les États-Unis vont désormais appréhender le monde. À l’arrivée d’une majorité démocrate au Congrès s’ajoute en effet le sort, cette fois scellé, du faucon John Bolton, lequel ne devrait pas tarder à quitter l’ONU, et, surtout, l’accession aux postes de commande d’un vol de colombes républicaines depuis toujours hostiles aux croisades idéologiques des néoconservateurs. Pour cette ultime politique de rechange, Bush n’a eu qu’à puiser dans le vivier en déshérence de papa, celui des pragmatiques, des multilatéralistes et des réalistes mis sur la touche au lendemain du 11 septembre 2001.
Archétype de ce bouleversement : Robert Gates (63 ans). Le nouveau secrétaire à la Défense est, en gros, l’antithèse de son prédécesseur. Natif du Kansas, ce spécialiste de l’ex-URSS a travaillé pendant vingt ans à la CIA avant d’intégrer le Conseil national de sécurité (NSC), puis de revenir à la CIA, en 1991, cette fois en tant que directeur. Républicain bon teint (il fut un anticommuniste viscéral et l’un des principaux avocats d’une solution militaire contre les sandinistes au Nicaragua), Gates s’est toujours montré critique, en privé, de la manière dont était conduite la guerre en Irak – voire de son bien-fondé.
L’identité et le pedigree de ses deux principaux mentors parlent d’eux-mêmes : Brent Scowcroft, ex-conseiller de Bush père et opposant déclaré à la guerre ; et James Baker, ancien secrétaire d’État du même George H. Bush. Gates est d’ailleurs l’un des huit membres du Groupe de réflexion sur l’Irak mis en place par Baker, dont les conclusions, qui devraient bientôt être remises, serviront de base à une redéfinition de l’engagement américain. Mieux – ou pis, pour Rumsfeld -, Gates est avec Zbigniew Brzezinski, qui fut un proche conseiller du démocrate Jimmy Carter et un adversaire farouche des néocons, l’auteur d’un rapport favorable au dialogue avec l’Iran et la Syrie. Enfin, le nouveau secrétaire à la Défense entretient, contrairement à son prédécesseur, de bonnes relations avec la secrétaire d’État Condoleezza Rice – nettement plus modérée depuis qu’elle a pris la tête du département d’État – avec laquelle il a travaillé au NSC sous Bush père.
Reste que le « nouveau » Bush et son équipe vont désormais devoir cohabiter avec les élus démocrates – lesquels ne seront pas davantage, jusqu’à la fin de 2008, dans une situation particulièrement confortable. Comment cogérer la crise irakienne en laissant à l’autre camp la responsabilité d’un échec annoncé ? Que signifie au juste le terme de « redéploiement » des troupes ? À deux ans de l’élection présidentielle, c’est au pied d’un mur presque infranchissable que se trouvent placés les dirigeants américains – de quelque bord qu’ils soient.

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