Renaudot, le plus africain des prix

Publié le 12 novembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Le Renaudot est, avec le Goncourt, le Médicis, le Femina et le Grand Prix de l’Académie française – auxquels certains ajoutent le Décembre et l’Interallié -, l’un des grands prix littéraires français. Il est décerné en même temps et au même endroit, le restaurant Drouant, place Gaillon à Paris, que le Goncourt, le plus prestigieux de tous. Sa création, en 1926, mérite d’être évoquée. Cette année-là, les journalistes se morfondent en attendant le verdict du Goncourt. Dix d’entre eux se concertent et, une fois le lauréat proclamé – un certain Henri Deberly, auteur du Supplice de Phèdre, tombé dans l’oubli depuis belle lurette -, ils font connaître leur propre choix. Armand Lunel, auteur de Nicolo Peccavi, sera le premier à obtenir le prix Théophraste-Renaudot. Pour bien marquer leur identité, les « conjurés » avaient placé leur projet sous les auspices d’un journaliste du XVIIe siècle, fondateur, sous Louis XIII, de La Gazette de France.
On a coutume de dire que le Renaudot sert à réparer les injustices du Goncourt, puisque, annoncé quelques minutes après celui-ci, il couronne un autre livre. C’est de moins en moins vrai. Cette année, par exemple, les deux sélections étaient totalement différentes. Quoi qu’il en soit, son objectif étant de distinguer le talent et l’originalité, le but semble largement atteint. Dans son palmarès, on relève, entre autres, les noms de Marcel Aymé (1929), Louis-Ferdinand Céline (pour Voyage au bout de la nuit, 1932), Louis Aragon (1936), Henri Bosco (1945), Jules Roy (1946), Michel Butor (1957), Jean-Marie Gustave Le Clézio (1963), Georges Perec (1965), Jean Freustié (1970), Pierre-Jean Rémy (1971), Conrad Detrez (1978), Jean-Marc Roberts (1979), Michel Del Castillo (1981), Jean-Marie Rouart (1983), François Weyergans (1992), Patrick Besson (1995), Pascal Bruckner (1997), Philippe Claudel (2003). Le prix décerné en 2004 à Suite française (Denoël), roman tiré du manuscrit d’Irène Némirovsky, juive ukrainienne décédée dans le camp de concentration d’Auschwitz en 1942, est venu rappeler que les jurés Renaudot savent faire preuve d’audace.
Ce que confirme leur ouverture sur le plan « ethno-géographique ». Avant Alain Mabanckou, ils avaient déjà récompensé deux Subsahariens : le Malien Yambo Ouologuem en 1968 pour Le Devoir de violence et l’Ivoirien Ahmadou Kourouma en 2000 pour Allah n’est pas obligé. On notera que l’un et l’autre, comme Mabanckou, ont été édités par Le Seuil. Ce qui n’est pas un hasard : dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la maison de la rue Jacob, qui publiera Léopold Sédar Senghor, Frantz Fanon, Kateb Yacine, Mohammed Dib, Mouloud Feraoun, Mohamed Choukri, Driss Chraïbi, Tahar Ben Jelloun, Sony Labou Tansi, Tierno Monénembo et bien d’autres, n’a jamais cessé d’afficher son intérêt pour les littératures « francophones ».
C’est sous cette appellation ambiguë que, faute de mieux, on classera plusieurs autres lauréats du Renaudot : le Martiniquais Édouard Glissant, récompensé en 1958 pour La Lézarde (Le Seuil, encore), le Haïtien René Depestre en 1988 pour Hadriana dans tous mes rêves (Gallimard) et Daniel Picouly, né en France métropolitaine mais d’origine martiniquaise, distingué en 1999 pour L’Enfant Léopard (Grasset). Pour aller jusqu’au bout de cette logique, il faut encore mentionner la romancière franco-algérienne Nina Bouraoui, qui a reçu le Renaudot en 2005 pour Mes Mauvaises Pensées (Stock).
Comparativement, les autres grands prix français apparaissent plus strictement hexagonaux. Le Médicis, qui a vu cette année le journaliste Sorj Chalandon l’emporter avec Une promesse (Grasset), n’a encore jamais honoré d’écrivains originaires d’Afrique. Quant au Femina, attribué en 2006 à la Franco-Canadienne Nancy Huston pour Lignes de faille (Actes Sud), il n’a, en plus d’un siècle (sa création remonte à 1904), distingué qu’un seul écrivain ayant un lien avec l’Afrique, la Franco-Sénégalaise Marie Ndiaye, pour Rosie Carpe (Minuit) en 2001. Cinq ans auparavant, l’Académie française avait accordé pour la première fois son Grand Prix à un auteur africain : Calixthe Beyala, d’origine camerounaise, avait été distinguée pour Les Honneurs perdus (Albin Michel)
Certes, après un Belge (François Weyergans, Trois jours chez ma mère, Grasset) en 2004, le Goncourt a élu cette année un Américain (Jonathan Littell, Les Bienveillantes, Gallimard). Mais aucun Subsaharien n’a encore eu ses faveurs : le seul Africain jamais consacré à ce jour est le Marocain Tahar Ben Jelloun, lauréat 1987 avec La Nuit sacrée (Le Seuil). Ce dernier a ouvert la voie à deux autres écrivains « francophones » : le Martiniquais Patrick Chamoiseau, couronné en 1992 pour Texaco (Gallimard), et le Libanais Amin Maalouf en 1993 pour Le Rocher de Tanios (Grasset).
On a reproché aux jurés du Goncourt quelques ratés spectaculaires, comme, en 1932, Voyage au bout de la nuit de Céline – auquel ils avaient préféré Les Loups (Gallimard), de l’obscur Guy Mazeline -, finalement « récupéré » par le Renaudot. Mais, dans l’ensemble, ce sont de très bons romanciers que, depuis 1903, ils ont inscrits sur leurs tablettes. Ils ont même eu un éclair de génie en 1921 en décernant leurs lauriers au roman-témoignage d’un administrateur de la France d’outre-mer d’origine guyanaise. Dans Batouala (Albin Michel), René Maran décrivait les effets destructeurs du système colonial sur les sociétés de l’Oubangui-Chari. Le retentissement donné au livre par ce Goncourt ne fut pas sans conséquences. Batouala fut interdit de diffusion en Afrique tandis que l’auteur était démis de ses fonctions. Mais, à travers lui, la littérature noire d’expression française venait de trouver un précurseur.

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