Compagnie au long cours

Rentabilité globale des activités, expansion du réseau, modernisation de la flotte Le doyen des transporteurs africains poursuit son petit bonhomme de chemin.

Publié le 12 novembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Aéroport international de Bole, Addis-Abeba. À l’abri des regards, dans un hangar situé face au siège administratif d’Ethiopian Airlines, le simulateur de vol pour Boeing 757 et 767, équipement ultramoderne d’une valeur de 90 millions de dollars, fait la fierté de Getachew Tesfa. « Cet appareil, c’est un peu l’emblème et le symbole de notre politique d’indépendance technique, explique le porte-parole de la compagnie. Nos personnels sont à 100 % des nationaux, et nous assurons la maintenance au sol de nos avions ainsi que la formation de nos équipages. Contrairement à beaucoup de nos homologues africaines, qui ont préféré continuer à déléguer ces activités à leurs partenaires européens Aujourd’hui, nous sommes fiers de notre savoir-faire, et nous en faisons profiter les pilotes tchadiens, malgaches, mozambicains ou kényans qui viennent s’entraîner à Addis. »
Mi-septembre, au Cap, Ethiopian, qui a fêté ses 60 ans en mai, s’est vu décerner le prix de la meilleure compagnie africaine de l’année par le très sérieux African Aviation Journal, « pour ses performances financières, la rentabilité globale de ses activités, l’expansion de son réseau et la modernisation de sa flotte ». On pourrait ajouter : et pour la sécurité. Ethiopian est une des rares compagnies africaines à n’avoir subi aucun accident en plusieurs décennies d’exploitation. Une réussite qui peut sembler, à bien des égards, paradoxale. L’Éthiopie, 77 millions d’habitants, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique après le Nigeria, est aussi l’un des plus pauvres : le revenu moyen par tête y dépasse à peine une centaine de dollars par an. Vouloir, dans ces conditions, mettre sur pied une compagnie capable de rivaliser avec les meilleures semblait relever de la gageure. Et pourtant
Le pavillon national, instrument de rayonnement des régimes successifs, a bénéficié, jusqu’en 1975, du partenariat technique de l’américaine TWA, aujourd’hui disparue. Contrairement à la plupart des transporteurs nés après les indépendances, Ethiopian a opté, dès 1960, à l’occasion de l’ouverture de la ligne Khartoum-Accra-Monrovia, pour des dessertes transversales (est-ouest plutôt que sud-nord). Une stratégie de niche dictée en partie par des considérations politiques – Addis-Abeba abritait le siège de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et celui de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) – qui lui a permis d’éviter la concurrence frontale avec les mastodontes comme Air France ou Sabena, ou aujourd’hui Lufthansa. L’existence d’un marché captif – pendant trente ans, les personnels des deux organisations ont été contractuellement obligés de passer par Ethiopian pour se déplacer – a facilité son essor.
Avec vingt-huit liaisons continentales, Ethiopian propose aujourd’hui plus de destinations africaines que n’importe quelle autre compagnie et n’a pas vraiment de concurrence sur son créneau, hormis Kenya Airways, qui privilégie elle aussi l’axe est-ouest, propose vingt-cinq destinations africaines et se pose à Addis, mais dont la flotte est moins moderne. Quant à South African Airways et Air Sénégal, elles couvrent essentiellement l’Afrique australe et l’Afrique de l’Ouest respectivement. Les compagnies maghrébines, Tunisair et Royal Air Maroc, opèrent, elles, davantage sur un axe nord-sud.
Addis-Abeba s’est imposé comme un hub crédible à l’échelle continentale avec l’ouverture de la ligne de Pékin, dès 1973, l’augmentation des rotations en direction de l’Europe et le « Big Bang » de 1998 – création de liaisons avec les États-Unis et les pays du Golfe. Un atout encore fructifié par la construction du nouvel aéroport de Bole, mis en service l’année dernière. Financée grâce à des prêts du Fonds koweïtien et de la Banque africaine de développement (BAD), cette plate-forme fonctionnelle et ultramoderne a coûté 150 millions de dollars.
Le développement futur de la compagnie, qui réalise 70 % de son chiffre d’affaires grâce aux passagers transitant par Addis, semble donc assuré. Mais Ethiopian nourrit d’autres ambitions. « À terme, nous souhaitons voir diminuer la part des passagers en transit, car nous voulons que l’Éthiopie devienne la destination finale d’un nombre croissant de nos clients, explique Girma Wake, son PDG. Notre pays a un potentiel touristique inégalé en Afrique… » Selon des estimations recueillies auprès de tour-opérateurs locaux, l’Éthiopie n’aurait accueilli que 30 000 à 40 000 « vrais touristes » l’an passé (pour un flux total de 170 000 visiteurs). Les capacités d’accueil, très limitées, la vétusté des hôtels de l’intérieur du pays et l’insuffisance des liaisons terrestres et aériennes domestiques freinent pour l’instant le décollage de l’industrie touristique. Girma Wake en est conscient. Le renouvellement de sa flotte devrait permettre d’augmenter les capacités et les cadences des vols domestiques. Et ses agences et représentations à l’étranger s’impliquent déjà dans la promotion de la destination, encore méconnue. « Mais tout n’est pas de notre ressort. Les aéroports provinciaux, qui ne disposent pas tous d’équipements adéquats pour accueillir de plus gros porteurs, et les professionnels du tourisme, qui rechignent à investir, doivent aussi prendre part à l’effort. Nous ne pouvons pas tout faire seuls ! »
Ethiopian a transporté 1,8 million de passagers en 2005, soit une augmentation de 200 000 clients, et réalisé un chiffre d’affaires de 3,4 milliards de birrs (305,5 millions d’euros), en hausse de 21 %. Pénalisée par la flambée des cours du kérosène, elle a enregistré un profit de 269 millions de birrs (24,1 millions d’euros), inférieur d’environ 20 % à ses prévisions. Misant sur le fret pour améliorer ses résultats, elle a annoncé, au premier semestre 2006, la reconversion d’un de ses 757 en avion-cargo. L’activité fret représente un peu moins de 15 % du chiffre d’affaires. Une part appelée à croître dans le sillage du développement de l’horticulture. La compagnie vient d’investir 15 millions de dollars dans la construction d’un nouveau terminal cargo réfrigéré, sur l’aéroport de Bole. Cultivées sous serre dans la vallée du Rift, les roses éthiopiennes sont exportées par conteneurs entiers vers les Pays-Bas. La maintenance constitue un autre axe stratégique. Un nouvel hangar, capable d’accueillir les 747, a été inauguré en mai. Ethiopian, qui bénéficie d’un net avantage compétitif en termes de salaires, vend ses services aux autres compagnies et assure la révision de tous les aéronefs de la gamme Boeing.
Ethiopian entend manifestement rester fidèle au constructeur de Seattle. « Je suis allé prospecter du côté d’Airbus à Toulouse, il y a dix-huit mois, pour un éventuel achat d’A320, explique Girma Wake. Mais la requalification de nos personnels techniques aurait engendré des surcoûts trop importants. L’A380 n’est pas adapté à nos besoins. L’A350 peut nous intéresser. Mais il ne serait pas disponible avant 2012, et ce délai nous semble trop long. » La doyenne des compagnies africaines a passé une commande ferme de dix B787 Dreamliner à long rayon d’action. Ils seront affectés en priorité aux liaisons avec l’Amérique du Nord (Washington), l’Europe, l’Asie du Sud-Est et, peut-être, Lagos. En même temps qu’elle réceptionnera ses premiers appareils, capables de parcourir 16 000 kilomètres sans escale, Ethiopian se dotera d’un simulateur pour B787. La compagnie, qui prendra livraison de ses deux premiers B787 en 2008, va d’ici là observer une pause dans son développement. Une prudence de bon aloi : les nouveaux appareils permettront d’augmenter ses fréquences et ses capacités. Elle envisage également, à moyen terme, l’ouverture d’une seconde escale en Amérique du Nord. En direction de Toronto, au Canada. Ethiopian a de sérieux arguments à faire valoir : la communauté africaine y est importante, et aucun transporteur subsaharien n’assure la liaison.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires