Schizophrénie au sommet

Dans le débat qui agite les dirigeants du pays sur la politique à suivre au Moyen-Orient, les discours sont pour le moins contradictoires. Une confusion mentale dont Ehoud Olmert est la parfaite incarnation.

Publié le 12 octobre 2008 Lecture : 6 minutes.

Les signaux contradictoires qui viennent ces jours-ci d’Israël soulignent la virulence du débat – jusqu’ici non tranché – entre les dirigeants du pays sur la politique à suivre au Moyen-Orient. L’État hébreu prétend vouloir la paix, mais il se prépare sans relâche à la guerre. Militairement, il est extraordinairement puissant. Pourtant, il a en même temps un tel sentiment de vulnérabilité qu’il ne se sent pas en sécurité tant que les Arabes qui l’entourent ne sont pas à genoux. De telles contradictions font penser à une forme avancée de schizophrénie nationale.
Au cur du débat, il y a la crainte que la capacité de dissuasion d’Israël tant vantée n’ait été entamée par le Hezbollah au Liban, le Hamas à Gaza et la montée en puissance de l’Iran. Depuis sa création, l’État hébreu a voulu s’assurer et s’est assuré une domination militaire sur l’ensemble de la région. Le fait que cette suprématie ne soit pas éternelle et qu’il faille repenser le problème de la sécurité donne la chair de poule aux stratèges israéliens.
Ehoud Olmert, le Premier ministre démissionnaire, incarne cette confusion mentale. Dans le long entretien d’adieu qu’il a accordé à Yediot Aharonot et qui a suscité un intérêt international considérable (voir J.A. n° 2491), il reconnaît qu’Israël a une courte opportunité – « si peu de temps que c’est terriblement angoissant » – de conclure un accord historique avec les Palestiniens et la Syrie. Il a reconnu que cela impliquerait nécessairement un retrait israélien de « la plupart, sinon de la totalité, des territoires occupés, y compris Jérusalem-Est », sans quoi « il n’y aurait pas de paix ». L’objectif, dit-il, est « d’essayer pour la première fois de préciser exactement le tracé des frontières entre nous et les Palestiniens pour que le monde entier puisse dire : voici les frontières d’Israël et voici les frontières reconnues de l’État palestinien ».
Olmert est également catégorique sur la question de la paix avec la Syrie : « Je voudrais bien qu’on me dise s’il y a dans l’État d’Israël quelqu’un de sérieux qui pense qu’on peut faire la paix avec les Syriens sans renoncer aux hauteurs du Golan. » Il fait également preuve d’une franchise exceptionnelle concernant l’Iran et laisse entendre que les déclarations faites en Israël à propos de ce pays – et il n’est pas douteux qu’il pensait aux efforts déployés pour diaboliser et menacer l’Iran, et mobiliser contre lui l’opinion internationale – étaient en réalité des symptômes de la « mégalomanie » israélienne. « Nous sommes, dit Olmert, un pays qui a perdu le sens de ses dimensions. »

Course aux armements
Ce seraient là des sentiments admirables si l’on pouvait y ajouter foi. Mais, comme si souvent avec lui, ses propos ont été immédiatement démentis par ses actions. Olmert s’est précipité, la semaine dernière, à Moscou pour tenter de convaincre le président Dmitri Medvedev de ne pas vendre d’armes de défense antiaérienne à l’Iran ni à la Syrie. Manifestement, au Moyen-Orient, seul Israël a le droit de se défendre. De fait, l’État hébreu va bientôt entrer en possession de l’avion de guerre américain le plus avancé, le F-35 Joint Strike Fighter, un furtif supersonique. Livraisons prévues : 25 appareils, pour un coût de 15 milliards de dollars, avec une option sur 50 unités supplémentaires. Israël sera ainsi le premier pays non membre de l’Otan à acquérir la dernière génération d’avions de chasse, ce qui consolidera encore sa supériorité aérienne déjà écrasante sur ses voisins. Ces appareils viennent s’ajouter aux quelque 200 ogives nucléaires, aux missiles de croisière de ses sous-marins et au reste de son formidable arsenal. Comme si cela ne suffisait pas, l’armée des États-Unis se prépare à déployer un système de radars avancés dans le Néguev, auquel sera affecté, au moins dans un premier temps, du personnel américain. Il est apparemment destiné à permettre une détection rapide de missiles iraniens, bien que rien n’indique que l’Iran ait les moyens, l’intention ou le désir suicidaire de lancer une telle attaque. La presse israélienne a donné à penser que le déploiement de ces radars est une sorte de compensation américaine après le refus de Washington de donner son aval à une intervention de l’État hébreu contre l’Iran.
Israël a-t-il renoncé à ses projets d’attaque contre les installations nucléaires iraniennes ? Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, ne le pense visiblement pas. Lors de son récent voyage en Israël, il a déclaré à Haaretz qu’« Israël a toujours dit qu’il n’attendrait pas que la bombe [iranienne] soit prête. Les Iraniens le savent. Le monde entier le sait. » L’option militaire, cependant, a-t-il ajouté, « n’est pas une solution. C’est un danger et une possibilité. » Ce n’est pas l’opposition catégorique à l’usage de la force qu’on aurait attendue de la France.
Dans son interview au Yediot Aharonot, Olmert assure aux Israéliens que « la force qui est la nôtre aujourd’hui est grande, et elle est suffisante pour faire face à n’importe quelle menace ». Il ajoute, cependant : « Il faut maintenant que nous réfléchissions aux moyens d’utiliser cette force pour faire la paix, et non pour gagner une guerre. » Mais des négociations de paix, il n’y a pas le moindre signe. Tzipi Livni, le nouveau leader du parti centriste Kadima, s’escrime, dans la pétaudière de la politique israélienne, à mettre sur pied une coalition. Après avoir fait la fine bouche, le travailliste Ehoud Barak semble plutôt tenté de jouer le jeu. Mais pour convaincre le Shas, le parti séfarade, de participer à la coalition, Livni s’est apparemment engagée à ne pas entreprendre de négociations sur Jérusalem avec les Palestiniens. Ce qui exclut automatiquement toute possibilité d’accord avec eux.

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Opérations de déstabilisation
Pendant qu’Olmert parle d’un besoin urgent de paix, d’autres Israéliens brandissent la menace d’une guerre dévastatrice. Dans une interview récente au Yediot Aharonot, le général Gadi Eisenkot, responsable du secteur Nord, a affirmé : « Nous ferons usage de moyens disproportionnés contre tous les villages d’où des coups de feu seraient tirés contre Israël, et causerons d’énormes dégâts et de terribles destructions C’est un plan qui a déjà été validé. » D’autres faucons comme le général de réserve Giora Eiland, ancien chef du Conseil de la sécurité nationale, estiment qu’il faudrait carrément avertir le gouvernement libanais que, dans la prochaine guerre, Israël détruirait totalement son armée et ses infrastructures civiles. De son côté, le patron du Mossad, Meir Dagan, se démène pour déstabiliser les voisins de l’État hébreu. Parmi les nombreuses opérations qui lui ont été attribuées, la presse israélienne cite le bombardement, en septembre 2007, de bâtiments militaires syriens, qui étaient, selon Tel-Aviv et Washington, des installations nucléaires ; l’assassinat en Syrie d’Imad Moughniyeh, un haut dirigeant du Hezbollah ; et l’élimination, près de Téhéran, d’un convoi des Gardiens de la Révolution qui se préparait à livrer des armes au Hezbollah.
La semaine dernière, le président du Yémen, Ali Abdallah Saleh, a annoncé qu’une « cellule terroriste » ayant des liens avec les services de renseignements israéliens avait été démantelée. Six de ses membres auraient participé à l’attentat du 17 septembre contre l’ambassade des États-Unis à Sanaa qui a fait 18 morts. Israël a qualifié cette accusation de « ridicule », mais mobiliser les États-Unis contre « l’islam extrémiste » – et, dans la foulée, contre les Arabes – a toujours été une des obsessions de la politique israélienne. L’attentat de Sanaa a-t-il été une provocation, à l’instar de l’affaire Lavon, en 1954, quand des agents israéliens firent sauter au Caire et à Alexandrie des bureaux de l’Agence d’information américaine et un théâtre britannique pour dresser les États-Unis et la Grande-Bretagne contre Gamal Abdel Nasser ? Malgré les belles paroles d’Olmert, la paix n’est pas pour demain.

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