Dessous d’une libération

Après 384 jours de détention, le correspondant de RFI à Niamey a été libéré au terme de longues tractations entre la radio française et les autorités nigériennes. Mais la procédure judiciaire engagée contre lui court toujours.

Publié le 12 octobre 2008 Lecture : 4 minutes.

Le scénario de sa libération, cet instant où il pourrait serrer dans ses bras sa femme Djamila et ses six enfants, Moussa Kaka l’a sans doute échafaudé des centaines de fois dans sa tête durant les 384 jours qu’il a passés au fond de sa geôle de la prison civile de Niamey. Le 7 octobre, à 12 h 15, il a enfin pu le vivre pour de bon.
Vêtu d’un pantalon vert et d’un tee-shirt blanc frappé des trois lettres rouges de la station française pour laquelle il travaille depuis plus de quinze ans, le correspondant de Radio France internationale (RFI) au Niger et directeur de la radio Saraounia a franchi la porte de la maison d’arrêt où il croupissait depuis le 20 septembre 2007. « Impérial, droit comme un i », raconte un témoin. À l’extérieur, une cinquantaine de personnes – parents, confrères et amis – l’attendaient pour fêter la fin de son calvaire.
Deux heures auparavant, accompagné de Fodi Boureima, l’un de ses avocats, Moussa a récupéré la copie de l’arrêt pris, en délibéré, par la chambre d’accusation de la cour d’appel de ?Niamey. Il indique une mise en liberté provisoire « d’office » Pourtant, ce n’était pas sur ce volet de l’affaire que les juges devaient, en théorie, se prononcer, mais sur le non-lieu. « En prenant ?cette décision, les trois magistrats ont joué la carte de l’apaisement. Ils ont coupé la poire en deux », explique Me William Bourdon, un autre des avocats – français celui-ci – du journaliste.
« Ils ont également tiré la conclusion d’une bataille juridique longue de plusieurs mois, dans laquelle tout donnait tort aux autorités », affirme Léonard Vincent, responsable du bureau Afrique de Reporters sans frontières (RSF). « La situation était devenue intenable. Par deux fois, le 23 juin et le 23 juillet, le doyen des juges d’instruction, qui a repris le dossier en février, a donné raison à Moussa en demandant successivement sa remise en liberté provisoire, puis un non-lieu. Depuis, il n’était maintenu en prison que par des artifices de procédure », poursuit-il. « L’approche du premier anniversaire de l’incarcération de notre correspondant, le 20 septembre, et surtout de la présidentielle de décembre 2009 a également permis de faire bouger les lignes », ajoute Juliette Rengeval, présidente du Comité de soutien « Libérez Moussa », laissant entendre que les dirigeants nigériens n’ont pas voulu voir le dossier du journaliste polluer la campagne électorale

RFI se fait discrète
À Niamey, au contraire, on affirme que c’est le changement d’attitude de RFI à l’égard du pays qui a permis de débloquer la situation. « L’arrivée d’une nouvelle équipe à la tête de la station, moins arrogante et moins prompte à dénigrer le Niger, a pesé dans la balance. Cela a permis d’enterrer la hache de guerre », affirme Mohamed Ben Omar, le ministre nigérien de la Communication et porte-parole du gouvernement, faisant référence au remplacement d’Antoine Schwarz par Alain de Pouzilhac à la présidence de la station, le 30 juin, puis à la nomination, dans la foulée, de Christine Ockrent au poste de directrice générale déléguée.
Dès la fin août, la « radio mondiale » avait adopté une stratégie de soutien plus discrète à son correspondant. Le décompte quotidien de la durée d’emprisonnement de Moussa Kaka à l’antenne a disparu, pour privilégier un traitement purement factuel de la procédure judiciaire en cours. De même, aucune initiative particulière n’a été lancée le 20 septembre pour célébrer le premier anniversaire de l’incarcération du journaliste, contrairement au 10 mars, où une journée spéciale avait été organisée au moment où il franchissait le cap de son sixième mois derrière les barreaux. « Ce n’était pourtant pas la première fois que nous supprimions ces messages, reprend Juliette Rengeval. Côté nigérien, je pense qu’on a craint, surtout, que le soutien à Moussa se répande sur les antennes de France 24 et TV5 à la faveur de l’arrivée de Pouzilhac à la tête de l’audiovisuel extérieur français. »
De part et d’autre, on s’accorde à dire que l’arrivée de la nouvelle équipe a mis de l’huile dans les rouages. Si le comité de soutien a senti une volonté de « prendre le problème à bras-le-corps », les autorités nigériennes ont apprécié la mise en place d’un « dialogue direct » pour gérer le différend. À la mi-septembre, la radio a ainsi dépêché à Niamey son correspondant au Burkina, Alpha Barry, qui n’a cessé de faire la navette entre la prison, la présidence, la primature et les ministères concernés. Puis le 22 septembre, Pouzilhac et Ockrent se sont déplacés en personne pour appeler le président Tandja à la clémence, parvenant visiblement à sceller un accord

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Une épée de Damoclès
Reste que si Moussa a aujourd’hui retrouvé sa famille, la procédure engagée contre lui court toujours. En le libérant, les juges ont également décidé de requalifier les faits qui lui sont reprochés. Si le crime de « complicité d’atteinte à la sûreté de l’État » pour avoir eu des contacts téléphoniques avec les rebelles touaregs du nord du Niger ne pèse plus sur lui, il reste poursuivi pour « atteinte à l’intégrité du territoire national pour entente avec des éléments du MNJ [le Mouvement des Nigériens pour la justice, NDLR] ». Un délit encore passible de dix ans de réclusion et d’une amende de 2 millions de F CFA.
L’intéressé le reconnaît lui-même : avec cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête, sa libération n’est qu’une demi-victoire. Placé sous surveillance alors que des échéances politiques importantes se profilent à l’horizon, tout porte donc à croire qu’il devrait « prendre du champ » avant de replonger dans les méandres de la vie politique nigérienne.

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