Bienfaits d’une crise

Publié le 12 octobre 2008 Lecture : 5 minutes.

Elle est donc là, parmi nous sur toutes les lèvres. Mais, pour le moment, peu d’entre nous en ont ressenti la morsure.
Je parle de « la crise », bien sûr. Immobilière et américaine au départ, il ne lui aura fallu qu’une année pour gagner le reste du monde développé et se transformer en crise (financière) du capitalisme.
Elle ne va pas tarder à se muer en crise économique pour affecter, à des degrés divers, le monde entier.
Ses conséquences sociales se feront ressentir très bientôt sur les cinq continents : moins d’argent, moins de travail et de richesses produites et, par conséquent, moins de croissance économique pour les uns, stagnation, voire récession pour les autres.

Dans le monde anglo-saxon, on a coutume de dire que « les choses qui ne peuvent avancer indéfiniment s’arrêtent un jour » ; en islam, on professe que « le détestable d’aujourd’hui est porteur, peut-être, de bienfaits qui apparaîtront demain ».
Ces deux appels au réalisme et à l’espoir me semblent s’appliquer à la situation actuelle : la crise dans laquelle nous entrons – Dieu seul sait pour combien de temps – devait nous tomber dessus un jour ou l’autre. Pour corriger les excès du libéralisme économique et nous rappeler que la mondialisation est une médaille qui a son revers.
Elle va faire des dégâts, engendrer des souffrances. Mais elle va purger le tissu économique, introduire de nécessaires correctifs, obliger les opérateurs – et nous tous – à bannir le laxisme et la facilité, nous contraindre à la discipline.

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Mon sentiment est donc que cette crise économique est grosse de bienfaits, dont certains, à très court terme, sortent du cadre économique stricto sensu pour embrasser la politique. Je ne vais pouvoir passer en revue que certains d’entre eux ; mais il suffit de regarder autour de soi pour en apercevoir d’autres.

1. Souvenez-vous de ce qui nous préoccupait tous, au plus haut point, il y a seulement quelques semaines : les cours du pétrole et de certains métaux, ceux des produits alimentaires. Ils ne cessaient de grimper, atteignaient des niveaux sans précédent, bousculant et déséquilibrant les budgets des États comme ceux des ménages, submergeant certains pays de pétrodollars dont ils ne savaient que faire.
Jugulée il y a vingt ans, l’inflation revenait en force et, en dépit des barrages que dressaient devant elles les Banques centrales, menaçait de rendre impossible tout vrai progrès économique, en particulier celui des pays émergents.
La crise a eu pour premier effet salutaire de détendre les prix, qui sont tous en train de refluer en plus ou moins bon ordre : de l’immobilier au pétrole en passant par les produits alimentaires et les matières premières. Du coup, ne craignant plus l’inflation, les Banques centrales se sont mises à baisser les taux du crédit : dès que les banques se remettront à fonctionner normalement, l’argent sera de nouveau disponible, mais moins cher.

2. L’invasion de l’Irak que l’actuel président des États-Unis a décidé d’entreprendre en 2003 quand il cherchait « somebody to hit » – quelqu’un [un musulman] à « cogner » – aurait-elle eu lieu si l’Amérique avait dû se préoccuper de ses problèmes économiques ? En tout cas, le successeur de Bush, même si par malheur ce devait être McCain*, ne pourra pas la poursuivre parce qu’il sera dans l’impossibilité de la financer, en sus du redressement économique de son pays.
Hugo Chávez aurait-il pu s’adonner à ses extravagances politiques et financières si le prix du pétrole n’avait flambé ? Et Vladimir Poutine se serait-il lancé dans la guerre de Géorgie s’il n’avait eu le sentiment que son pays était redevenu riche et puissant ?
Gageons que la crise refroidira les pulsions dépensières et guerrières de l’un et de l’autre, ainsi que celles de leurs émules.
Tendez l’oreille pour écouter les responsables politiques et les économistes : ils disent que « la crise doit nous inciter à changer de modèle de croissance, à trouver des sources de financement domestiques plutôt que de compter sur les capitaux étrangers. [] Elle nous contraindra à une consolidation du secteur bancaire et à son assainissement. »

3. Les constructeurs automobiles vont souffrir et mettre des ouvriers au chômage. Mais le monde a-t-il besoin des 50 à 60 millions de voitures qu’ils produisent chaque année, dont près de la moitié sont mal adaptées aux réseaux routiers, synonymes de luxe tapageur, sources de gaspillage et de pollution ?
La crise va obliger les industriels et les particuliers à une pause qui permettra, aux uns et aux autres, de réfléchir et de s’adapter.

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4. À vrai dire, la crise est un retour de balancier : il y avait « surchauffe », croissance trop rapide de la demande, tension sur les prix.
Car le monde ne peut faire face au « toujours plus » du milliard d’habitants des pays développés et, simultanément, à une croissance économique chinoise qui persiste à se situer, depuis une vingtaine d’années, à plus de 10 % par an. À laquelle s’ajoute, depuis une décennie, une croissance indienne à 8 % l’an.
Ces deux pays, où vivent quelque 40 % de la population mondiale, se sont réveillés presque en même temps après trois siècles de léthargie.
Tant mieux, mais leur rattrapage forcené, s’ajoutant à celui de quelques autres pays de l’ex-Tiers Monde, est facteur de surchauffe économique.
Si le milliard d’Africains s’était mis au diapason, l’ensemble aurait fait exploser la machine.

La mondialisation ayant fait de la planète un seul ensemble économique – un « village », a-t-on dit -, il devient impératif de rechercher un équilibre global entre l’offre et la demande comme entre les besoins des uns et des autres.
Les tiraillements qu’on observe, les graves divergences qui ont rendu impossible un accord entre les pays membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) montrent, à l’évidence, que nous sommes encore à l’ère des déséquilibres et des contradictions.
Il en sera ainsi tant que les pays nantis s’accrocheront à « leurs avantages acquis » et voudront accaparer la direction du monde.

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L’actuel président de la Banque mondiale, Robert Zoellick – un grand Américain -, a eu le courage de dire, ce 7 octobre :
« Le monde a besoin d’institutions nouvelles pour l’aider à surmonter l’actuelle crise financière. Des économies émergentes telles que le Brésil, la Chine, la Russie et l’Arabie saoudite doivent y participer.
Le G7 – les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Italie et le Canada – ne fonctionne plus. Il nous faut constituer un meilleur groupe pour une époque différente.
Il doit être ouvert, souple et pouvoir évoluer avec le temps. D’autres pays peuvent participer, surtout si leur influence grandissante s’accompagne d’une détermination à assumer des responsabilités.
La réponse aux crises nouvelles devra être plus large et mondiale. »

* Si, en revanche, c’est Obama qui est élu le 4 novembre prochain, nous le devrons pour une bonne part à… « la crise ».

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