Bénédiction ou malédiction ?

Publié le 12 juin 2005 Lecture : 3 minutes.

Le pétrole apportera-t-il la prospérité aux Mauritaniens ? Il faudrait pour cela que le pays se garde de contracter la Dutch disease, syndrome plus connu dans le monde arabe sous le nom de « malédiction du pétrole ». Pour l’éviter, le peuple et ses dirigeants seraient bien inspirés de rester fidèles à leur humilité légendaire et à prendre exemple sur la sobriété de leur ami de toujours, le chameau. Ils auraient aussi intérêt à méditer les expériences des pays du Golfe et de quelques grands pays pétroliers africains.
Apparemment, après avoir connu des siècles de privation, voilà que la Mauritanie fait l’objet d’une bénédiction divine et qu’une période d’abondance pointe à l’horizon. Le pays compte de plus en plus sur ses ressources naturelles. Il disposait déjà du fer et du poisson, qui l’alimentent en devises. Il aura du pétrole à partir de la fin de l’année 2005, et du gaz dans les prochaines années. Sans compter, à moyen ou long terme, les recettes attendues de l’exploitation du cuivre et de l’or, ou probables comme celles des phosphates et d’autres minerais.

Mais voilà, cette bénédiction, si l’on n’y prend pas garde, risque de se transformer en fléau. Le mal s’attaque en priorité aux pays outrageusement gâtés par la nature, qui ont une fâcheuse tendance à vivre de leurs rentes. Au lieu d’investir dans l’agriculture et les industries de transformation, ils favorisent les dépenses de prestige, poussent à la consommation et au gaspillage sans maîtriser l’inflation, qui diminue le pouvoir d’achat des citoyens en termes réels, quand elle n’aggrave pas la pauvreté et le fossé social. Ils augmentent l’arrogance des profiteurs et des corrompus tout en renforçant l’autoritarisme et la mauvaise gouvernance.
À ce propos, l’exemple du Nigeria est édifiant. Le premier producteur de pétrole en Afrique extrait 2,5 millions de barils par jour et totalise 22 milliards de dollars de recettes annuelles d’exportations en hydrocarbures. Mais son revenu moyen par habitant est tombé en dessous du niveau qu’il connaissait il y a quarante ans, avant l’ère du pétrole et avant l’indépendance. Il n’est plus que de 320 dollars. Un montant inférieur à celui de la Mauritanie (400 dollars par habitant), qui relègue le Nigeria au rang des pays les moins avancés dans le monde (PMA). La raison d’une telle dégringolade ? La fameuse Dutch disease. Les chiffres l’attestent : le développement économique et social n’a pas vraiment profité de la manne pétrolière. Si l’on se réfère à l’indice de développement humain (IDH) calculé par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), le Nigeria se classe 151e sur 177 pays. Environ 70 % de la population vit avec moins de 1 dollar par jour. Des exemples similaires abondent ailleurs en Afrique et dans les pays du Golfe.

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Le défi historique, pour les dirigeants mauritaniens comme pour leur peuple, consiste à ne pas céder à l’euphorie et à rester fidèles à ce qu’ils ont toujours été, un peuple sobre et humble. Car le pétrole, comme les autres matières premières du sous-sol, n’est pas inépuisable, et son prix est volatil. Trop d’euphorie crée attentes et frustrations lorsque les aspirations des citoyens ne sont pas satisfaites à court ou moyen terme.
Comment utiliser ces nouvelles ressources ? Non seulement le président Ould Taya a donné un début de réponse à cette question (voir pages 56-57), mais il se dit en phase avec le Rapport annuel du coordinateur résident des Nations unies en Mauritanie (publié le 31 janvier 2005), qui affirme : « La perspective de l’exploitation pétrolière suscite beaucoup d’espoir, mais aussi d’appréhension. La production de pétrole peut contribuer à la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) en Mauritanie si des engagements sont pris pour investir les revenus dans l’éducation, la santé, les infrastructures routières et le développement rural, tout en assurant une bonne répartition régionale. Des opportunités se présentent en termes d’industrialisation, avec le raffinage du pétrole et la liquéfaction du gaz, la création d’oléoducs et de gazoducs vers les pays frontaliers. » Le pétrole pour la Mauritanie est une chance unique… À condition de ne pas la gâcher.

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