Trois mille mètres, ou plus

Pour les ingénieurs, les méthodes actuelles permettront aussi de réussir dans les zones encore inexplorées.

Publié le 12 mars 2006 Lecture : 4 minutes.

Pour les professionnels du pétrole, le passage de l’offshore (tranche d’eau de 0 à 500 mètres) à l’offshore profond (500 à 1 500 mètres) et ultraprofond (1 500 à 3 000 m) s’inscrit dans une simple logique d’évolution technologique. La plupart des processus utilisés à 1 500 mètres de profondeur sont des versions améliorées de ceux qui ont fait leurs preuves sous 500 mètres d’eau. Pour passer à l’ultraprofond, il y aura bien sûr des difficultés, mais les spécialistes se montrent unanimes : rien n’est techniquement insurmontable. Têtes de puits, collecteurs, pompes et autres équipements sous-marins peuvent fonctionner sous 3 000, 4 000 mètres d’eau, voire plus. « C’est réalisable. Autant pour les opérations de prospection, comme l’imagerie ou les études sismiques, que sur le plan des installations », confirme Lionel Lemoine, ingénieur responsable des questions offshore à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Même point de vue du côté de l’Institut français du pétrole (IFP) : « Techniquement, il n’y a pas d’impossibilité pour aller à 3 000 m et au-delà », explique Claude Mabile, directeur expert.
Rien n’est impossible, et les ingénieurs aiment les défis. Pour la mise en production de nouveaux sites dans la tranche de 1 500 à 2 000 mètres, ils concentrent leurs efforts sur une technique particulière, visant à l’amélioration des processus de séparation. Explication. Le fluide qui remonte sur la plate-forme est un mélange de pétrole, d’eau et de gaz. Il faut en séparer le pétrole pour qu’il achève sa course dans les cuves des tankers. L’eau est le plus souvent réinjectée dans son gisement d’origine, ainsi que le gaz (sauf s’il est valorisable), ou encore stockée dans des réservoirs artificiels aménagés au fond des mers. Une solution qui permet aux compagnies d’honorer leurs engagements de respect de l’environnement. Évidemment, s’il était possible de séparer pétrole, eau et gaz directement à la source, elles feraient l’économie d’un aller-retour. Ce qui permettrait de réduire la tuyauterie et aussi d’optimiser le rendement des puits existants. Le groupe français Total mène des travaux de recherche en ce sens et devrait tester une telle solution dans les dix-huit mois. Un autre projet, qui sera bientôt mené au Congo, mettra à l’épreuve un procédé de séparation à l’intérieur même du puits. Cette invention laisse entrevoir des gains considérables en termes de productivité des gisements offshore.
En dessous de 2 000 mètres de profondeur, l’exploitation des puits imposera certaines modifications importantes de la structure des plates-formes et, surtout, des liens entre le fond et la surface, les fameux risers, nom donné par les spécialistes à ces tuyaux. « Pour produire plus profond, il faudra des risers plus longs. En acier, ils seront donc plus lourds. Trop lourds. Il faut travailler sur des solutions alternatives pour résoudre ce problème », indique Claude Mabile, de l’IFP. Les chercheurs de cet institut travaillent actuellement sur des tubes alliant acier et matériaux composites. Ils permettraient un gain de poids de l’ordre de 50 % par rapport au tout acier, soit un gain de l’ordre de 15 % sur la masse totale d’un riser travaillant à de telles profondeurs. L’amélioration des systèmes de contrôle des têtes de puits (les « robinets ») est également à l’étude. Les premiers étaient hydrauliques, imposant de longues conduites pour assurer la commande. Ils sont aujourd’hui électro-hydrauliques. Lorsqu’ils seront totalement électriques, il sera possible de placer les têtes de puits encore plus bas, et plus loin des côtes. Après l’électrique, l’électronique, dont la fiabilité a tendance à décroître avec l’augmentation de la pression, constituera la nouvelle limite à franchir.

Des limites d’ordre financier
Une question reste sans réponse à ce jour : existe-t-il réellement des gisements de pétrole au-delà de 3 000 m de profondeur ?
Pierre Cochonnat, géologue à l’Ifremer, fait preuve de circonspection : « Il n’y a pas forcément d’intérêt pour l’industrie pétrolière. Les conditions géologiques pour la présence d’hydrocarbures ne sont pas acquises dans ces zones. » Dans ce cas, pourquoi voit-on sortir des chantiers navals des bâtiments capables de forer jusqu’à 10 km de profondeur (voir encadré) ? Pour certains, l’intérêt de ces navires est avant tout scientifique. D’autres avancent que les ultrafonds renferment des grandes quantités d’« hydrates de gaz », sortes de poches sous-marines dont le contenu pourrait, un jour, servir de substitut au pétrole Ce qui reste à démontrer sur le plan scientifique.
Il est également des experts qui considèrent que si les compagnies pétrolières n’ont pas encore fait de découvertes importantes à ces profondeurs, c’est parce qu’elles n’y ont pas encore mené de campagnes d’exploration. « Dans ces zones, il existe de nombreux bassins inexplorés. Et il y a des traces, des indices », confie Claude Mabile, de l’IFP. De fait, peu de prospections ont été menées sous plus de 2 000 m d’eau, notamment en Afrique, alors que de nombreux pays, Nigeria, Angola et Mauritanie en tête, pourraient révéler de bonnes surprises. Tout comme, ailleurs dans le monde, le golfe du Mexique et l’Australie Et c’est précisément ce que les nouveaux navires de forage permettront de vérifier. Tout comme d’autres progrès réalisés dans le domaine de l’exploration des fonds marins et, plus précisément, dans celui de l’imagerie sismique. « Les images du sous-sol que nous obtenons sont de plus en plus précises. C’est important, car les structures des grands fonds sont aussi plus complexes », souligne Michel Maguerez, de Total. Bien entendu, la justification scientifique ne suffit pas pour engager une campagne de prospection par 4 000 mètres de fond. Il faut aussi que la pertinence économique soit avérée : les compagnies pétrolières ne franchiront le pas que si le coût est supportable. Scénario le plus fréquemment évoqué par les uns et les autres : la diminution des réserves mondiales de pétrole provoque une hausse du baril et du prix de vente qui, si elle est durable, permettrait de financer les opérations des compagnies pétrolières. Et d’aller toujours plus loin sous la mer.

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