Rwanda : un sujet impossible ?

Publié le 12 mars 2006 Lecture : 3 minutes.

C’est presque en train de devenir un genre cinématographique. En l’espace de deux ans, quatre films de fiction ont déjà été réalisés pour le grand écran avec pour sujet central le génocide au Rwanda. Et d’autres projets sont en cours ou annoncés.
Le premier de ces films, Hôtel Rwanda, du Britannique Terry George, est sorti il y a un an un peu partout dans le monde et a rencontré un vif succès. Il évoquait de façon romancée l’histoire authentique du courageux gérant de l’Hôtel des Mille Collines de Kigali, Paul Rusesabagina, un Hutu qui avait tout fait, en 1994, pour tenter de sauver des centaines de familles tutsies réfugiées dans son établissement assiégé par les extrémistes hutus. Un scénario aux nombreux ressorts dramatiques, qui ne reculait pas devant l’utilisation du pathos pour intéresser le plus large public dans les pays occidentaux au récit du génocide. Sans pour autant trop montrer de scènes atroces afin de ne pas effaroucher le même public.
En attendant les sorties de Sometimes in April, de l’Haïtien Raoul Peck, et d’Un dimanche à Kigali, du Québécois Robert Favreau, le deuxième à atteindre les écrans est aujourd’hui Shooting Dogs, d’un autre cinéaste britannique, Michael Caton-Jones. À nouveau un film « grand public », avec une intrigue « fictionnalisée » à partir d’une histoire vraie qui ressemble par bien des côtés à la précédente. Le film se passe également dans un lieu unique, l’École technique officielle de Kigali, un établissement de formation dirigé par un prêtre catholique. Cette école servant alors de cantonnement à un détachement de Casques bleus, elle voit arriver dès le début des massacres des milliers de Tutsis qui croient pouvoir sauver leur vie en se plaçant sous la protection du prêtre et des soldats de l’ONU. Un abri qui, hélas ! se révélera précaire, malgré le sacrifice du religieux et d’un coopérant anglais qui refusent d’abandonner les réfugiés, quand la force internationale finira par évacuer les seuls Occidentaux de ce lieu encerclé par des miliciens.
Hôtel Rwanda avait été réalisé en Afrique du Sud. Sans doute parce qu’il a été tourné sur les lieux mêmes où se sont déroulés les événements évoqués, avec pour figurants des rescapés du génocide, Shooting Dogs, qui ne recule jamais devant la représentation de l’horreur, est un film plus fort, plus abouti. Il n’en reste pas moins que les deux longs-métrages, très « professionnels », souffrent des mêmes graves défauts. Destinés manifestement au seul public occidental qu’on veut renvoyer à sa mauvaise conscience, ils sont condamnés à privilégier les situations clichés. Les personnages principaux, même si leurs modèles ont bel et bien existé et si les acteurs sont bons, figurent plus des archétypes que des humains avec leurs contradictions et leurs incertitudes. C’est évidemment encore plus vrai pour les personnages secondaires – autrement dit les tueurs et leurs victimes – qui sont véritablement secondaires. Quant aux causes de la tragédie, elles ne sont que superficiellement traitées.
En un mot, ces films, à visée éthique plus que politique, manquent de complexité. Faut-il espérer qu’un réalisateur d’envergure, idéalement africain, s’empare du sujet pour l’aborder autrement, avec un autre regard ? Faut-il surtout admettre, de façon plus réaliste, que la fiction ne semble pas être un bon véhicule pour traiter un sujet pareil dès maintenant de façon convaincante ?

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