Trois questions à Stine Jensen

Publié le 12 février 2006 Lecture : 2 minutes.

Ecrivaine et philosophe danoise, Stine Jensen, 33 ans, a publié plusieurs livres et essais d’analyse culturelle. Dernier paru (en traduction française) : Les femmes préfèrent les singes, février 2006, Éditions du Seuil, 256 pages.

Jeune Afrique/l’intelligent : Quel est aujourd’hui l’état d’esprit au Danemark ?
Stine Jensen : Tout d’abord, un détail insolite : j’ai vu hier dans un journal la photo d’une femme voilée, une Iranienne, qui brandissait une pancarte sur laquelle on pouvait lire : « Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark – Hamlet. » C’est effectivement une citation de Shakespeare. Très curieux Pourquoi citer l’une des icônes de la culture occidentale pour dénoncer l’Occident ? Voilà pour moi toute l’ambivalence de ce qui se passe en ce moment. La haine de l’Occident est mêlée à de la fascination. Mon état d’esprit personnel en résulte : je ne sais pas trop quoi penser de cette soudaine crise de fureur qui agite le monde musulman. C’est très confus. Quant à mes compatriotes, selon un sondage récent, 80 % d’entre eux ont peur. Peur d’attentats terroristes, peur du boycottage de nos exportations, peur de la violence en général. Le mot « angoisse » décrirait le mieux l’état d’esprit actuel. Une angoisse empreinte de colère. L’image que les Danois ont d’eux-mêmes vacille. Ils se voyaient comme un petit pays que tout le monde aime. Voyager avec un passeport danois était une garantie d’accueil amical et souriant dans tous les pays. Maintenant, rien ne sera plus comme avant.

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On a l’impression que le Danemark est dépassé par les événements, comme s’il ne savait pas comment gérer une crise violente
C’est exact. Et la raison en est simple : il y a toujours eu au Danemark une culture du consensus. On cherche à résoudre les conflits dans la stricte observance des processus formels, sans se taper dessus : par le recours à l’arbitrage, à la loi. En somme, c’est la démocratie en action. Sur le plan personnel, les gens évitent l’affrontement, ils ne disent pas franchement ce qu’ils pensent, surtout s’il y a un risque d’escalade. « Nous avons la liberté de penser, pourquoi y ajouter la liberté d’expression ? » disait Kierkegaard, notre plus grand philosophe. Très actuel, n’est-ce pas ? Dans les films Le Festin de Babette (1987) ou Festen (1988), les vérités qui dérangent n’apparaissent qu’après un repas bien arrosé. C’est très danois. Éviter les sujets qui fâchent, garder secret ce qui pourrait faire mal, c’est aussi très danois.

Quelles seront, selon vous, les conséquences de l’affaire des caricatures ?
Tout d’abord, les Danois vont davantage se méfier des musulmans. C’est triste, mais c’est comme ça. Quand je vois l’imam de Copenhague Abou Laban dire à la télévision danoise qu’il fera tout pour limiter les dégâts et ensuite aller sur Al-Jazira appeler – en arabe – les musulmans à tenir partout des manifestations de protestation, je suis atterrée par ce double langage. Et je ne suis pas la seule. Conséquence : la droite et l’extrême droite xénophobe viennent de faire un bond au Danemark. Hélas !

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