Liberté d’expression et responsabilité civique

Publié le 12 février 2006 Lecture : 2 minutes.

Il y a trois choses que nous devons garder à l’esprit dans la controverse sur les caricatures du Prophète. Premièrement, il est contraire aux principes de l’islam de représenter en image non seulement Mohammed, mais tous les prophètes de l’islam. C’est une interdiction absolue.
Deuxièmement, dans le monde musulman, nous n’avons pas l’habitude de plaisanter avec la religion, que ce soit la nôtre ou celle de quelqu’un d’autre. Cela dépasse notre entendement. Pour cette raison, ces caricatures sont considérées par les musulmans moyens, et pas seulement par les extrémistes, comme une violation de quelque chose de sacré, une provocation contre l’islam.
Troisièmement, les musulmans doivent comprendre que plaisanter avec la religion est une donnée de la culture plus large dans laquelle ils vivent en Europe, et qui remonte à Voltaire. Le cynisme, l’ironie et même le blasphème font partie de cette culture. Quand vous êtes musulman et que vous vivez dans un tel environnement, il est très important d’être capable de prendre une distance critique et de ne pas réagir de manière aussi passionnelle. Vous devez être fidèle aux principes de l’islam, mais aussi être assez sage pour ne pas surréagir à la provocation.
Dans les pays à majorité musulmane, réagir passionnellement à ces caricatures par le boycottage, c’est encourager les extrémistes de l’autre bord. D’un côté, les extrémistes disent : « Vous le voyez bien, l’Occident est contre l’islam. » De l’autre, ils disent : « Vous le voyez bien, les musulmans ne peuvent pas s’intégrer à l’Europe, ils détruisent nos valeurs en n’acceptant pas ce que nous représentons. » Cette manière d’ouvrir un débat sur le terrain passionnel est, en fait, une manière de fermer la porte à un discours rationnel. Ce qu’il faut que l’on comprenne des deux côtés, c’est qu’il ne s’agit pas d’un problème juridique, ni d’une question de droits. La liberté d’expression est un droit en Europe, et elle est protégée par la loi. Personne ne doit le contester. En même temps, il faut comprendre que la structure de la société européenne a été changée par des immigrants de diverses cultures. Il faut donc faire montre d’égards avec les musulmans et les autres personnes vivant en Europe.
Il n’y a pas de limites légales à la liberté d’expression, mais il y a des limites civiques. Dans toutes les sociétés, les citoyens sont conscients qu’il ne faut pas abuser de la liberté d’expression afin de ne pas heurter les sensibilités, en particulier dans les sociétés multiculturelles qui existent dans le monde d’aujourd’hui. C’est une question de responsabilité civique et de sagesse, pas une question de loi ou de droits. Dans ce contexte, je pense qu’il n’était pas raisonnable de publier ces caricatures parce que ce n’était pas la bonne manière d’ouvrir un débat sur l’intégration. Une telle initiative enflamme les passions, elle n’est pas conforme à la raison. C’est une provocation inutile.

* Professeur invité à l’université d’Oxford, Grande-Bretagne. Ce texte est un condensé d’une interview recueillie par Global Viewpoint.

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