Intox et liberté

Publié le 12 février 2006 Lecture : 4 minutes.

Depuis que le Concile de 680 a jeté l’anathème sur l’islam, l’image de Mohammed dans la conscience chrétienne reste inchangée. Elle nous est rappelée, de temps à autre, par de très sérieux théologiens. Elle est celle de l’Antéchrist, d’un luxurieux dépravé sexuel et d’un assassin. Le terme terroriste n’existait pas encore pour le désigner, mais il fut introduit dans l’actuel Catéchisme de l’Église catholique (§ 2297), avec une allusion à peine voilée à l’islam.
Donc, à ce débauché terroriste, l’Esprit malin apparut un jour sous la forme d’un vautour et le persuada de se faire prophète. Il inventa un Coran sensuel pour des Bédouins incultes. Il fit miroiter à leurs yeux un paradis plein de belles houris et de jeunes éphèbes, dont lui-même usait et abusait sans répit. Pour certains, ses fidèles le tuèrent en l’attachant à la queue d’une chamelle ivre. D’autres le font mourir de mort naturelle. Pressentant sa mort, il prédit qu’il ressuscitera le troisième jour. Les siens veillèrent son cadavre, mais, ne voyant pas le miracle venir, ils l’abandonnèrent. Des chiens, ou des cochons, vinrent le dévorer. On enterra ce qui en restait, et on décréta que chaque année, pour commémorer sa mort, on ferait un grand massacre de chiens.
La liberté d’expression, et la créativité romancière et artistique, commencèrent ainsi très tôt. Les modernes peuvent trouver dans ces thèmes de quoi produire des chefs-d’uvre littéraires, et de quoi nourrir tous les fantasmes esthétiquement créateurs. Messieurs les caricaturistes, à vos pinceaux ! Quant à vous, frères musulmans, ne soyez pas stupides. Je vous supplie, ne donnez pas dans le panneau. Laissez les caricaturistes caricaturer en paix, sans vous émouvoir outre mesure, comme nous l’avons fait tout le long de notre histoire. La culture occidentale de l’image caricaturale, enracinée dans le christianisme paulinien, qu’elle s’applique à Jésus ou à Mohammed – bénédiction et salut sur les deux ! -, n’est pas la nôtre. Restons dignes. Restons fidèles à nos traditions.

Ce qui importe n’est pas la caricature en elle-même. Placée dans son contexte, elle est banale. Ce qui importe, c’est ce qui se profile derrière, et cela ressort avec une nette évidence de l’émission Envoyé spécial (France 2, jeudi 2 février, 20 h 50). Tout tient en deux mots : l’islam terrorise et avilit les femmes. Images d’archives à l’appui, ce fut le procès en règle de l’islam qui tue les journalistes, les cinéastes et autres artistes. L’islam avilit les femmes, image de la smala de Mohammed en illustration.
On nous présenta donc une femme noire qui, pour échapper à l’avilissement de l’islam, se fit chrétienne. Elle nous fut présentée avec une théâtrale solennité, entourée d’une imposante garde du corps très sélecte, car, nous dit-on, elle est, à l’intérieur même du studio, en péril de mort. Elle marmonna, l’air plutôt penaud, sa leçon. Conclusion : horrible islam qui poursuit ses victimes féminines jusque dans le studio le mieux gardé.
Quel message veut-on faire passer ? Il s’agit, par le cynisme de l’intox, de complexer les musulmans, de les dégoûter de leur religion, et de rendre cette religion dégoûtante et répugnante pour l’immense public auquel s’adresse l’émission : surs musulmanes, avilies par Mohammed, devenez chrétiennes ! Vite, vite, n’attendez pas !

la suite après cette publicité

La liberté d’expression est dans le Coran. Nous vénérons et nous respectons Moïse, Jésus et tous les prophètes, comme nous le commande le Coran (2 : 285), et nous n’avons jamais souillé aucun d’entre eux. Nicolas Sarkozy, invité à donner son opinion, affirme qu’il préfère les excès de la liberté à ceux de la censure. J’ai plus d’une raison d’être en plein accord avec lui.
Je voudrais décomplexer dans tous les sens les uns et les autres, désintoxiquer par la parole libératrice, pour que les relations humaines, entre individus et communautés, s’établissent sur des bases saines et égalitaires, sans mépris sous-jacent, à l’intérieur et à l’extérieur de toutes les frontières nationales et internationales. La paix, vraie, dans la justice et l’égalité, est à ce prix. Autrement, surtout en Europe, il faudrait se préparer à des expulsions massives, dont certains rêvent, sans aucun doute, sous le manteau, et font tout pour accélérer l’arrivée de ce jour béni, comme ce fut le cas en Espagne médiévale, et comme ça a failli être le cas en ex-Yougoslavie.
st notre vraie tradition, qui ne peut être ternie par des dévoyés, qui, comme tous les dévoyés, relèvent de la justice de droit commun, lorsqu’ils passent à la violence, quels qu’en soient les prétextes. Mais je pose cette question au ministre de l’Intérieur : doit-on admettre, au nom de la liberté d’expression, que l’on dessine la caricature de Mohammed sur les tombes musulmanes, comme la croix gammée sur les tombes juives ?

* Historien et penseur musulman, Tunis, Tunisie

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires