Marcel
Publié le 11 décembre 2005 Lecture : 1 minute.
Pour nous, il était Marcel. Inutile d’insister sur ce que simple prénom pouvait avoir d’affectueux. Nous craignions pourtant au plus haut point ses interventions lors des conférences de rédaction, en particulier quand le journal tout frais imprimé était soumis au feu de la critique collective. La moindre coquille, la plus petite maladresse de style, l’erreur la plus vénielle déclenchaient son indignation. Sans parler des néologismes. Et des anglicismes. Ah ! les anglicismes. Il ne les supportait pas et ne montrait aucune indulgence à l’égard de ceux qui s’autorisaient à en faire usage. Ce héraut du progrès affichait un conservatisme à toute épreuve dès que ses collègues se hasardaient à prendre des libertés avec la langue française.
Sorti de réunion, l’imprécateur retrouvait sa bonhomie naturelle. Lui parfois si sévère en public devenait tout miel en petit comité ou en tête à tête. Toujours prêt à donner un avis ou un conseil, il encourageait ses cadets, guidait les premiers pas des novices en journalisme.
Ses idées, il les défendait jusqu’à l’aveuglement. Sa haine de la dictature et son aversion pour le fanatisme religieux – sinon pour la religion tout court – l’amenaient parfois à prendre des positions très personnelles par rapport au reste de la rédaction. Il avait par exemple applaudi l’intervention américaine contre l’Irak de Saddam Hussein et approuvait sans nuance la politique « musclée » du pouvoir algérien à l’égard des islamistes. Mais s’il campait de façon inébranlable sur ses opinions, il écoutait avec attention celles des autres et était toujours disposé à poursuivre le dialogue.
Le respect qu’il nous imposait ne tenait pas seulement à son savoir encyclopédique et à ses faits d’armes dans la profession. Par sa rigueur, sa précision, chacun de ses articles était comme tiré au cordeau. À un point tel que pour évoquer un texte particulièrement bien léché nous disions : « C’est du Péju. » La formule restera.
