La réalité en face

Publié le 11 novembre 2007 Lecture : 3 minutes.

Sorti le 31 octobre à Paris avec un fort soutien promotionnel, L’Ennemi intime, le premier véritable film français de fiction sur la guerre d’Algérie à destination du grand public et à gros budget, n’a pas remporté le succès escompté par ses producteurs. En quatrième position seulement pour le nombre d’entrées lors de sa première semaine d’exploitation, il est peu probable qu’il dépasse finalement la barre des 500 000 spectateurs en France – une performance que connaissent pourtant une bonne cinquantaine de films chaque année.
Pour un long-métrage réalisé de façon quasi hollywoodienne et comportant une multitude de scènes d’action spectaculaires, il était logique de s’attendre à un résultat bien meilleur, largement au-delà du million d’entrées. Comme les trois autres films proposés récemment au public de l’Hexagone sur le même thème mais dans un style plus « art et essai » – La Trahison de Philippe Faucon, Mon colonel de Laurent Herbier et Cartouches gauloises de Mehdi Charef -, qui n’ont connu qu’un petit succès d’estime malgré le soutien de la critique, il semble bien que cet échec signifie que les Français ne veulent guère entendre parler de cette page sombre de leur histoire.
À l’opposé, les cinéastes américains traitent sans retenue des guerres d’Afghanistan et d’Irak ou, plus généralement, de la « guerre contre le terrorisme » du président Bush. Et sans attendre un demi-siècle pour le faire en direction d’un assez large public, présent au rendez-vous. Deux films qui sortent actuellement dans le monde entier, après plusieurs autres ces dernières années (de Syriana à Jarhead), en sont la preuve.
Le Royaume de Peter Berg (sorti à Paris le 31 octobre) évoque une difficile et dangereuse enquête menée en Arabie saoudite, après un attentat antiaméricain très meurtrier (lire J.A. nos 2441-2442). Long-métrage à grand spectacle, avec des effets spéciaux impressionnants pour pimenter les innombrables scènes d’action, The Kingdom, très critique autant envers les autorités saoudiennes qu’envers celles de Washington, a atteint immédiatement le sommet du box-office à sa sortie (deuxième meilleur score pour l’ensemble du pays) et poursuit un parcours plus qu’honorable (déjà près de 50 millions de dollars de recettes aux seuls États-Unis).
Même accueil pour Dans la vallée d’Elah (sorti à Paris le 7 novembre), film plus achevé, avec un argument moins manichéen et une réalisation plus subtile, que propose Paul Haggis, l’excellent scénariste de Clint Eastwood. Il s’agit là encore, avec dans les rôles principaux Tommy Lee Jones et Charlize Theron, d’une enquête policière. Le meurtre d’un soldat tout juste rentré de la sale guerre d’Irak semble avoir un rapport, comme le suggère une vidéo qu’il a tournée, avec ce que lui-même et son assassin ont vécu lors de leur mission au Moyen-Orient, et dont il n’y a pas lieu d’être fier.
Certes, comme pour L’Ennemi intime, ces deux films sont essentiellement vus du seul côté occidental, sans grande considération pour l’« autre camp », celui des Arabes, même quand ils mettent en scène des civils « innocents » ou des personnages « positifs ». Et, surtout dans le cas du Royaume, ils versent parfois dans la caricature. Mais ils montrent qu’on peut poser sur le grand écran des questions gênantes sur l’engagement militaire à l’étranger et ses conséquences éventuellement atroces sans pour autant décourager le public. Contrairement aux Français, les Américains, semble-t-il, même si leur comportement sur le terrain n’en est pas moins condamnable, peuvent regarder la réalité en face. Une différence qui mériterait explication et qui tient sans doute autant à l’histoire qu’à la culture spécifiques des deux pays.

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