Nacer Djabi

Sociologue, universitaire et chercheur au Cread (Centre de recherche en économie appliquée pour le développement)

Publié le 11 septembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique/l’intelligent : Comment vivent les jeunes en Algérie ?
Nacer Djabi : Il y a plusieurs catégories de jeunes. Vous avez ceux qui prennent leurs vacances à l’étranger, les fils de la nomenklatura ou les nouveaux riches. Beaucoup de ces derniers ont profité du dysfonctionnement économique de la fin des années 1980. Cette jeunesse dorée s’oppose aux jeunes issus des classes moyennes et populaires. La majorité de ces derniers travaille dur tout l’été. Ils ne bronzent pas ou alors en vendant des beignets et autres bricoles sur les plages. Et puis, il y a les jeunes ruraux qui voient beaucoup de choses grâce à la parabole mais ne profitent de rien. Ceux-là sont au café du matin jusqu’au soir. Il n’y a rien à faire pour eux.
Globalement, on peut dire que les jeunes vivent un malaise profond aujourd’hui. On le voit quand ils conduisent par exemple. Ils ont des comportements qui montrent un mépris de la vie. Il ne faut pas oublier que les Algériens de 20 ans avaient une dizaine d’années au plus fort de la période terroriste. Ceux qui ont vécu dans les grandes villes en gardent un traumatisme certain. L’islamisme a manipulé quelque chose de profond en Algérie.
J.A.I. : Justement, l’islamisme a touché beaucoup de jeunes. Comment l’expliquez-vous ?
N.D. : Par la situation économique. La jeune société algérienne a vécu et vit encore une
crise terrible, notamment au niveau de l’emploi, du logement, du niveau de vie. Ce qui
est nouveau, ce sont les disparités grandissantes. Les syndicats, les associations, le
pouvoir, les partis n’ont pas su donner un sens à ces disparités, d’autant qu’elles étaient illégitimes. L’une des réactions a été l’islamisme. Les jeunes se sont reconnus dans la radicalité du discours. Le Front islamique du salut (FIS) a d’ailleurs été le seul parti à présenter autant de jeunes candidats. Il a su mobiliser beaucoup de jeunes électeurs. Il existe désormais une réelle méfiance envers tout ce qui est officiel. D’où la participation quasi nulle des jeunes à la vie politique et associative.
J.A.I. : Quels sont les problèmes que rencontrent les jeunes au quotidien ?
N.D. : Ils sont nombreux : emploi, éducation, logement, loisirs Jusqu’au début des années
1990, l’école et l’entreprise jouaient encore à peu près leur rôle. Aujourd’hui, c’est le
blocage total. Il n’y a plus de promotion par l’école. L’entreprise ne fait plus son travail. Le système est en faillite. Pour gagner de l’argent, les jeunes doivent souvent se tourner vers le secteur informel. Du coup, ils se mettent eux-mêmes en marge de la société. Ils savent que, sans argent, leurs loisirs sont limités.
De plus ils vivent une grande misère sexuelle. Il faut avoir les moyens, une voiture, un
logement pour se marier. La crise de la famille algérienne a également engendré beaucoup
de prostitution. Violence, délinquance et toxicomanie touchent d’abord les jeunes, sans parler du suicide, toujours en augmentation. La société algérienne fonctionne réellement
à deux vitesses. On trouve des maladies de « pauvres » comme la tuberculose et des maladies de « riches » comme l’obésité. Beaucoup de jeunes ont des problèmes dentaires.
J.A.I. : Quelle est la nature des revendications des jeunes ?
N.D. : Elle est essentiellement économique et sociale et s’exprime dans la rue. Les
émeutes sont devenues le seul moyen d’expression. Elles ne sont plus concentrées en
Kabylie comme ce fut le cas par le passé. C’est devenu le sport national. Cette forme de révolte s’est démocratisée, et aujourd’hui on la trouve même dans le Sud, à Ghardaïa ou Djanet. Brûler des pneus ou des Assemblées populaires communales [APC, équivalents de mairies] est une manière efficace de se faire entendre par les autorités. Dans l’histoire de la société algérienne, les jeunes ont toujours eu un rôle central. Ils sont derrière tous les changements politiques des deux dernières décennies. Malheureusement, ils ne se reconnaissent plus dans quelque institution politique que ce soit. Ceux qui gouvernent ont dans les 70 ans et bloquent toute évolution de la société.

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