Le Kef, loin des plages

Publié le 11 septembre 2005 Lecture : 5 minutes.

En ce mois d’août, la saison touristique bat son plein en Tunisie. À Hammamet, à Sousse, à Monastir, sur l’île de Djerba, au sud du pays, des centaines de milliers de vacanciers se pressent sur le sable fin des plages. Un concentré d’Europe se retrouve dans les hôtels qui parsèment les côtes. Au programme, bronzage autour des piscines, animations pour les petits et, le soir, fiesta dans les night-clubs. Venu passer quelques jours au bord de la mer dans la banlieue nord de Tunis, j’ai surpris mes amis en décidant de partir en excursion à l’ouest du pays, dans une région qui ne leur paraît guère offrir d’attraits. « En plus, il y fait beaucoup plus chaud qu’ici », m’ont-ils prévenu.
De Tunis au Kef, non loin de la frontière algérienne, la distance est d’environ 170 kilomètres. Moins de trois heures de voiture suffisent à faire le parcours. Comme partout dans le pays, les routes sont en très bon état et n’ont guère à envier à celles que l’on emprunte en Europe. Les efforts en faveur de l’environnement sont par ailleurs manifestes. En pleine campagne, des hommes sont occupés à ramasser les papiers et les sacs plastique jetés dans les fossés.
Les bouchons de Tunis sont déjà loin, mais la circulation reste assez dense. Aux camions et camionnettes dont les chargements témoignent d’une intense activité agricole s’ajoute le flot des véhicules immatriculés en Algérie (des touristes), mais aussi en France (des émigrés de retour au pays pour les vacances). Le conducteur se sent d’emblée incité à respecter les limitations de vitesse : il lui serait difficile d’échapper à la vigilance des policiers postés au moindre carrefour.
Les paysages, à dire vrai, n’ont rien de mirifique. On traverse le grenier de la Tunisie. J’avais appris depuis Paris que la récolte de céréales a été médiocre cette année. Quoi qu’il en soit, ce sont de magnifiques surfaces cultivées qui s’étendent à perte de vue. Certains champs fraîchement labourés mettent au jour une belle terre épaisse de couleur brun foncé. Grâce aux systèmes d’irrigation, notamment par aspersion, poussent un peu partout fruits et légumes en tout genre.
À l’approche de Mejez el-Bab, des tomates jonchent le bord de la chaussée sur des kilomètres. L’explication m’est fournie quand j’arrive dans cette petite ville située à une cinquantaine de kilomètres de la capitale : des files de camions remplis à ras bord de magnifiques fruits rouges attendent de décharger leur cargaison dans une usine de transformation.
À l’entrée du Kef, on tombe sur les deux hôtels de la ville dont l’apparence indique qu’ils ont vocation à accueillir des voyageurs étrangers. Surprise : ils sont quasiment vides. Dans celui où j’ai choisi de poser mes bagages seules trois ou quatre chambres sur la cinquantaine que doit compter l’établissement sont occupées. Le centre de cette capitale régionale de quelque 50 000 habitants a des allures de bourgade rurale. Commerces vieillots, marché sans grand intérêt pour qui est de passage. Je m’enquiers auprès d’un marchand d’épices : où pourrais-je acheter des tissus ? Vous n’en trouverez pas. Il n’y a pas de touristes ici.
Le soir venu, la ville s’anime comme par enchantement. Les familles déambulent en grappes sur les trottoirs, envahissent les parcs et les jardins. La moindre ruelle prend un air de fête. Dans les cafés du centre, territoires exclusivement masculins, l’alcool coule à flot. J’observe, étonné, que le vin se sert non au verre ou au pichet, mais à la bouteille entière. Les hommes dépensent tout leur argent dans la boisson, m’avait-on dit à Tunis. Il faut dire que les habitants de cette région frondeuse n’ont pas bonne réputation dans le reste du pays. On les assimile souvent aux Algériens voisins, avec lesquels ils partagent beaucoup de traits culturels, y compris l’accent.
Il suffit d’un peu de curiosité pour apprécier le charme de cette ville construite en hauteur sur le flanc du djebel Dyr. Les fortifications de la Kasbah qui la surplombe témoignent du rôle stratégique qu’a joué la cité au fil des siècles. En empruntant les ruelles pavées qui grimpent vers la forteresse, on relève les traces d’une riche histoire depuis l’époque punique jusqu’à la période arabe et turque. Un des bijoux architecturaux est la mosquée de Sidi Bou Makhlouf, qui se distingue par ses dômes cannelés et son minaret octogonal. Au gré de sa promenade, le voyageur découvre également les restes d’une colonie romaine : des morceaux de colonnades ici et là, un ensemble de cavités qui ont dû constituer des thermes, les ruines d’une basilique chrétienne du IVe siècle… Sicca Veneria devait son nom au temple de Vénus où était pratiquée la prostitution sacrée.
L’ensemble de la région est, il est vrai, un immense champ de vestiges antiques. En pleine campagne, on tombe nez à nez avec un arc de triomphe romain, les débris d’un aqueduc. Impossible de ne pas faire un détour par Dougga, à une soixantaine de kilomètres du Kef. Perchée sur un monticule dominant la riche plaine céréalière, cette ancienne colonie phénicienne fut la résidence du prince numide Massinissa au IIIe siècle avant J.-C. puis connut son apogée aux IIe et IIIe siècles, notamment sous le règne de Marc-Aurèle. Elle comptait plusieurs dizaines de milliers d’habitants. Des travaux de restauration ont permis de reconstruire le théâtre, le capitole dédié à Jupiter, Junon et Minerve. De nombreuses statues ont résisté aux outrages du temps. Les fondations de tout ce qui composait la vie d’une cité romaine sont bien visibles : temples, forum, thermes, latrines publiques, marché, lupanar… En contrebas se dresse un mausolée numido-punique vieux de plus de 2 200 ans, un des plus célèbres monuments préromains de Tunisie.
Ce site extraordinaire n’est pourtant guère mis en valeur. À la sortie de Téboursouk, un panneau minuscule indique la présence de « ruines ». Sur place, ni musée ni boutique de souvenirs. Quelques indications sommaires guident les visiteurs. Ce jour-là, ils étaient moins d’une dizaine à déambuler au milieu des tas de pierres. La Tunisie dispose ici – comme d’ailleurs un peu partout à travers son territoire – d’un prodigieux patrimoine historique susceptible d’enchanter toute une catégorie de touristes qui souhaitent autre chose que « bronzer idiots ».

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