Tragique odyssée

Pour échapper à la misère, des milliers de Subsahariens affrontent les dangers de la mer, comme hier les boat people fuyaient la guerre ou la dictature.

Publié le 11 juin 2006 Lecture : 4 minutes.

Hier, Hong Kong, la Thaïlande, l’Indonésie ou la Malaisie étaient des pays de Cocagne pour les Vietnamiens. Aujourd’hui, le mirage européen attire des milliers de Subsahariens. Des destins tragiques.
Ils fuient le chômage endémique et la misère. Sénégalais, Guinéens ou Mauritaniens, ils s’entassent par centaines dans des pirogues de pêcheurs et bravent les dangers de la mer. En quatre ou cinq jours, ils tentent de gagner les côtes des îles Canaries. Sans visa, ils espèrent bénéficier de la loi espagnole qui autorise les migrants à rester sur le territoire s’ils ne peuvent être rapatriés dans les quarante jours. Leur destin ressemble, à quelque chose près, à celui de ces Indochinois des années 1970 qui fuyaient la répression et la dictature, les boat people.
Le 17 avril 1975, les Khmers rouges s’emparent de Phnom Penh, la capitale du Cambodge. La ville est vidée de ses habitants : 300 000 personnes sont sur les routes. Le 30 avril, Saigon, capitale du Sud-Vietnam, tombe aux mains des Vietcong. 700 000 Sud-Vietnamiens quittent la ville. Huit mois plus tard, le Laos devient à son tour communiste. À nouveau, 300 000 personnes, soit 10 % de la population laotienne, prennent le chemin de l’exil. C’est la première migration de masse de l’histoire moderne. Tous les moyens sont bons pour quitter la péninsule, à commencer par la voie maritime. L’opinion publique retiendra longtemps les images de milliers de malheureux, femmes, enfants, vieillards, entassées sur des rafiots rouillés et hors d’âge voguant sur une mer de Chine infestée de pirates.
Nul ne saura jamais le nombre de victimes massacrées ou noyées dans des naufrages dus autant à des avaries qu’aux ouragans, fréquents dans la région. Les rescapés émeuvent le monde entier avec les récits de leur infortune, des vols et des violences subis. Les Subsahariens également, lorsqu’ils se jettent sur les barbelés des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla ou débarquent, hagards et malades, sur les plages de Lanzarote ou de Ténériffe. Pour eux, les passeurs sont des pirates : ils exigent des sommes colossales, parfois presque un an du salaire moyen d’un employé de Dakar, pour prix de leurs services. Quoique moins nombreux à bord, ces désespérés africains ne jouissent pas de meilleures conditions de traversée que leurs « prédécesseurs » asiatiques. Les pirogues, qui mesurent une dizaine de mètres, chavirent facilement en haute mer, lorsque la houle est trop forte.
Jusqu’à la fin des années 1970, la communauté internationale accueille volontiers les boat people. Les États-Unis font preuve de loyauté envers leurs anciens alliés abandonnés sur le terrain d’une guerre perdue. En 1979, l’exode est-asiatique s’intensifie à nouveau à cause du conflit sino-vietnamien. Pour la période 1975-1985, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estime à près de 2 millions le nombre d’Indochinois ayant pris le chemin de l’exil. Une conférence internationale tenue en 1979 permet de leur attribuer d’office le statut de réfugiés. Le Canada, l’Australie, la Grande-Bretagne, la France ouvrent leurs frontières, donnent des titres de séjour, favorisent l’intégration des réfugiés, leur permettant notamment de faire venir leurs familles.
Ni la guerre au Liberia et en Sierra Leone, ni les rébellions en Côte d’Ivoire ou en Afrique centrale, ni le génocide au Rwanda ne provoqueront une prise en charge par l’Occident des populations civiles. Les Sénégalais, les Guinéens ou les Maliens qui interpellent aujourd’hui leur ancien colonisateur français ne réclament pas autre chose que cette loyauté de la part d’une nation qui a profité de leurs richesses dans le passé.
En 1979, les Khmers rouges sont chassés du pouvoir au Cambodge, la répression cesse. Les pays de premier asile, Thaïlande, Indonésie et Malaisie, ferment leurs plages et leurs frontières. Les bateaux chargés d’immigrants, qui n’ont pas cessé leurs rotations, sont de plus en plus souvent refoulés et errent en haute mer, quand ils ne sont pas pris en otages par les pirates. On en voit arriver jusqu’en Islande et aux Bermudes. Ils sont, partout, indésirables.
Dans le même temps, l’immigration « politique » se transforme en immigration économique. Paysans et ouvriers du Nord-Vietnam partent sans l’intention de faire souche dans les pays d’accueil. Ils veulent juste travailler pour faire vivre leurs familles restées au pays. La chute du mur de Berlin, en 1989, signe la fin de la guerre froide, et les régimes communistes vietnamien et laotien s’assouplissent. Du coup, le statut de réfugié politique, qui servait de paravent aux migrants, devient difficile à obtenir. Il faut passer un « examen » auprès du HCR, prouver que l’on a fui parce que l’on était dissident, menacé pour des raisons politiques ou religieuses et que l’on risque sa vie en cas de rapatriement forcé. Neuf fois sur dix, le « candidat » est débouté. Les boat people deviennent encombrants pour les pays occidentaux, qui se demandent « comment s’en débarrasser ». Les lois se durcissent contre les clandestins, précarisent les immigrés légaux en les privant du droit au regroupement familial et aux avantages sociaux. Les pays émergents ne se montrent pas plus généreux.

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