Amérique latine : pourquoi le chavisme ne fera pas tache d’huile

Publié le 11 juin 2006 Lecture : 3 minutes.

Sur le front politique, l’Amérique latine, naguère déchirée par les coups d’État, a retrouvé des cycles électoraux stables, avec des campagnes vigoureuses, des résultats qui ne sont pas décidés d’avance et des sortants qui transmettent pacifiquement leurs pouvoirs. À défaut de donner entière satisfaction au peuple, la démocratie jouit au moins de son soutien résolu, selon les conclusions d’une étude de Latinobarometro, un institut de sondage indépendant.
L’environnement extérieur reste crucial – en tout premier lieu la combinaison de taux d’intérêt bas, d’une croissance rapide du commerce mondial et du renchérissement des matières premières, combinaison qui s’est révélée si bénéfique au cours des dernières années. Ces facteurs sont toutefois intervenus trop tard pour sauver plusieurs gouvernements des néfastes conséquences de cinq ans de stagnation. Le mouvement de balancier politique amorcé au début de la décennie a été fatal aux sortants et a, en général, avantagé la gauche. En outre, le peu d’intérêt dont a témoigné Washington pour l’Amérique latine, depuis les attaques terroristes du 11 septembre 2001, joint à une bonne dose d’indifférence de la part de nombreux politiciens américains (à l’exception de Bush) sur les questions d’immigration, a nourri un antiaméricanisme encore plus répandu que dans les années 1960.
Ce mouvement prévisible du balancier vers la gauche a été fréquemment confondu avec l’éclosion d’un populisme jusqu’au-boutiste. C’est notoire au Venezuela, où les tendances radicales de Chávez se sont progressivement renforcées depuis sa première élection en 1998. Le « chavisme », avec son alternance de carottes pour les partisans et de bâtons pour les opposants, a du succès auprès des Vénézuéliens, mais n’en rencontre guère ailleurs. En dépit d’une croyance largement répandue, ce n’est pas le soutien de Chávez qui a permis à Morales d’être élu l’an dernier président de la Bolivie. De fait, le seul soupçon d’un soutien de Chávez fait courir des risques, comme le découvrent à leurs frais les candidats « populistes » aux présidentielles du Pérou, du Mexique et de l’Équateur. La pétrodiplomatie vénézuélienne a elle aussi ses limites. Les petits pays d’Amérique centrale et des Caraïbes, dont les exportations se dirigent pour l’essentiel vers les États-Unis, ne prendront pas le risque de perdre leurs préférences commerciales en échange d’un pétrole moins cher.
Avec un prix du baril de pétrole supérieur à 50 dollars, Chávez ne peut pas perdre l’élection présidentielle de décembre prochain. Ailleurs, la gauche devra tenir ses promesses électorales si elle veut conserver le pouvoir. Or l’environnement extérieur pourrait bien se détériorer. Dans les toutes prochaines années, le pendule pourrait même être fatal à la gauche. Au fur et à mesure qu’il gagne en maturité, l’électorat attend davantage de sa classe politique. Toutefois le mouvement de bascule à gauche n’est pas universel. Il semble aujourd’hui acquis que les Mexicains éliront en juillet un candidat incarnant la « continuité ».
C’est le Brésil qui pourrait détenir la clé de l’avenir pour l’Amérique latine. Sa politique étrangère est en pleine déliquescence et devra être repensée, que le président Luiz Inácio Lula da Silva soit ou non réélu en octobre. Son parti pris d’apaisement face à Chávez et Morales a donné de la politique étrangère brésilienne une image d’inefficacité et d’insipidité. Une démarche plus résolue est indispensable – elle s’organise déjà. La survie du bloc commercial du Mercosur exige que le Brésil prenne les choses bien en main ; il faudra sans doute négocier des compromis avec l’Amérique sur un éventail de questions allant du militaire au commercial. Si tel était le cas, l’antiaméricanisme commencerait à régresser et l’attrait du chavisme à pâlir.

* Directeur de Chatham House, un think-tank londonien.

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