Vu de Paris « Faisons croire à Gbagbo qu’il peut gagner »

Publié le 11 mars 2007 Lecture : 6 minutes.

La signature, le 4 mars, de l’accord de Ouagadougou a-t-elle pris le « parrain » français de court ? Même si Brigitte Girardin, ministre déléguée à la Coopération et « madame Côte d’Ivoire » pour quelques semaines encore s’en défend, c’est pourtant la réalité. Depuis plusieurs mois, après son échec devant le Conseil de sécurité dont elle aurait souhaité qu’il mette Laurent Gbagbo hors jeu, la diplomatie française est avant tout défensive et attentiste sur ce dossier. Et c’est avec scepticisme que l’Élysée avait pris note de l’ouverture, début février, du dialogue direct de Ouaga. L’accord du 4 mars, qui esquisse pour la première fois une perspective de retrait pour les 3 500 hommes de l’« opération Licorne », n’en a pas moins été accueilli avec soulagement. Comment réagit-on à Paris, au-delà de cette « divine surprise » ? La France demeurant, quoi qu’on en dise, même en période préélectorale et quitte à surévaluer son rôle, un acteur important de la crise ivoirienne, ses analyses et ses positions sont scrutées à Abidjan avec une extrême attention. Les voici donc, recueillies aux meilleures sources.

Merci Compaoré
Si l’accord du 4 mars a pu se conclure, dit-on à Paris, c’est bien sûr parce que Blaise Compaoré s’est directement impliqué dans son élaboration. « Tout comme Kufuor, qui a joué son rôle, il est de la région et connaît donc très bien le dossier et ses protagonistes. L’un et l’autre ont en outre accédé à des fonctions qui leur permettent d’exercer une autorité morale supranationale. La conjoncture était donc idéale. » C’est cette intimité qui fait toute la différence, ajoute-t-on, « par rapport aux médiateurs antérieurs, particulièrement les Sud-Africains, qui n’ont jamais su saisir les complexités locales ». Pourquoi le président burkinabè s’est-il ainsi mobilisé ? Quel est son propre agenda ? « Pour des raisons d’image personnelle », estime-t-on à Paris. « Réussir en Côte d’Ivoire ce qu’il est parvenu à réaliser, sur une petite échelle, au Togo, c’est-à-dire ramener la paix civile, ne lui déplaît évidemment pas et le débarrasse définitivement de ses vieux oripeaux de troublemaker régional d’il y a dix ans. » Blaise Compaoré veut également tout faire pour qu’une élection présidentielle se tienne en Côte d’Ivoire : « Pour lui, c’est la seule porte de sortie de crise et, comme nous, il pense que Gbagbo ne respectera l’échéance électorale que s’il estime avoir de bonnes chances de l’emporter », croit savoir un haut responsable français. « Il faut donc l’y inciter au maximum, en lui laissant croire qu’il va gagner. » Pousser à l’élection comme on pousse à la faute, en somme

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Gbagbo jusqu’à quand ?
L’analyse qui précède est-elle réellement celle du président burkinabè ? Elle est en tout cas l’apanage de ceux qui, à Paris, « font » encore la politique ivoirienne de la France. Eux n’ont pas renoncé à « coincer » Laurent Gbagbo et ne cachent guère leur souhait de le voir quitter la présidence à l’issue d’une élection qui, si elle est démocratique, devrait se solder par sa défaite. C’est tout au moins ce qu’avance un diplomate français proche du dossier, au regard du chapitre « Identification générale des populations » de l’accord du 4 mars. « C’est très simple : il y aura les cinq millions d’électeurs que l’on a déjà, plus le million et demi de ceux qui ont eu 18 ans depuis 2000, plus le million et demi d’Ivoiriens sans papiers que les audiences foraines vont inscrire, explique notre interlocuteur. Avec ce stock électoral renouvelé, Gbagbo ne peut pas gagner, sauf s’il se retrouve au second tour face à Alassane Ouattara et que l’électorat du PDCI se reporte sur lui. Son objectif est donc de casser ce parti afin qu’Henri Konan Bédié ne passe pas le premier tour. C’est l’une des raisons essentielles pour lesquelles Gbagbo veut se débarrasser du Premier ministre Charles Konan Banny. Si Banny sort du jeu gouvernemental et du carcan onusien, il aura les mains libres pour se présenter et ôter toutes chances à Bédié, en lui enlevant une partie de ses voix. »

Banny, ou comment le conserver
Que cette dernière hypothèse, passablement machiavélique, soit ou non fondée, l’important est qu’on y croie à Paris. D’où, logiquement, une posture de soutien au Premier ministre actuel, alors même qu’on le jugeait « un peu décevant » il y a un mois : surtout, ne pas offrir sa tête à Gbagbo. « L’accord de Ouagadougou parle d’un nouveau cadre institutionnel d’exécution et d’un gouvernement de transition, nulle part il n’est question d’un nouveau Premier ministre », insiste Brigitte Girardin, qui ajoute : « Banny n’a pas démérité et nous ne souhaitons pas son départ. » Certes, la ministre déléguée à la Coopération reconnaît que le chef du gouvernement n’a pas répondu à toutes les attentes des Ivoiriens, mais il avait des circonstances atténuantes : « Il n’a jamais eu les moyens coercitifs d’exercer ses pouvoirs, il n’a pas été suivi par le Conseil de sécurité lorsqu’il réclamait en septembre 2006 de nouvelles sanctions individuelles, et il a été humilié à plusieurs reprises par la présidence, notamment lors de l’affaire des déchets toxiques. » Si Banny est congédié, Guillaume Soro sera-t-il Premier ministre, ainsi que le souhaite Laurent Gbagbo ? « Nous n’avons pas le sentiment qu’il soit prêt à accepter ce poste », avance un haut responsable français qui s’est entretenu avec lui il y a quelques jours. « Il nous a dit et répété : pas maintenant. » D’ailleurs, croit savoir notre interlocuteur, « Gbagbo a beaucoup insisté pour que son nom figure explicitement, au titre de chef du nouveau gouvernement, dans l’accord de Ouagadougou. Mais Soro a résisté jusqu’au bout ». Reste à connaître avec précision l’agenda personnel du leader des Forces nouvelles, un homme sur lequel les Français n’ont jamais eu véritablement prise et qui entretient avec Gbagbo des rapports d’une grande complexité. « Les pressions qui s’exercent sur lui pour qu’il accepte le poste sont très vives, souligne-t-on à Paris, et le président Compaoré lui-même est apparemment favorable à cette hypothèse. Mais si nous avions un conseil à lui donner, ce serait de refuser et de laisser soit Banny, soit un technocrate assumer la primature. Il a plus à perdre qu’à gagner à succomber ainsi. »

Ado, Bédié et les autres
« On ne les a pas beaucoup vus, encore moins entendus à Ouagadougou », relève un diplomate français familier du dossier. Qui ajoute : « C’est sans doute la raison pour laquelle cela a marché. » Il est vrai que ni Alassane Ouattara ni Henri Konan Bédié ne sont signataires de l’accord entre les belligérants de la crise ivoirienne et que ni eux ni leurs représentants ne figurent au sein du Comité d’évaluation et d’accompagnement chargé de suivre sa mise en uvre. Mais cette absence traduit aussi une volonté de leur part d’observer le processus et de tirer leur épingle du jeu en cas d’échec. Quant au commentaire féroce de notre diplomate, il dénote tout aussi bien l’incapacité de Paris à avoir prise sur ces deux acteurs essentiels de l’imbroglio ivoirien. Reste donc, pour une politique africaine de la France qui en est à ses derniers soubresauts, à tenter d’accompagner une éventuelle sortie de crise qui passera forcément par une nouvelle résolution de l’ONU – ne serait-ce que pour avaliser la « levée immédiate » des sanctions individuelles réclamées par l’accord du 4 mars, le départ programmé du contingent « Licorne » et la nomination éventuelle d’un nouveau Premier ministre. Reste aussi, plus que jamais, à ne pas se perdre dans ce théâtre d’ombres, ce maquis de fausses pistes et ce dédale de déclarations en trompe l’il qu’est la politique ivoirienne. En ce qui concerne Laurent Gbagbo, à tout le moins, madame la ministre déléguée à la Coopération croit enfin tenir le bon canal d’interprétation : « Ne vous fiez pas à ce que racontent les journaux », lui a dit le président ivoirien, lors de leur dernière rencontre. « Ici, comme chez vous en France, ils écrivent parfois n’importe quoi. La seule et unique personne dont les propos m’engagent, c’est mon conseiller spécial Désiré Tagro, le reste n’a aucune importance. » Cela tombe bien : Tagro est justement le porte-parole de la présidence. Enfin, une boussole. Alors que l’hôte de la Rue Monsieur s’apprête à boucler ses cartons, il était temps !

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