Irak : le retrait n’est pas une solution

Publié le 11 mars 2007 Lecture : 5 minutes.

Les Américains en ont tellement assez du fardeau de la guerre en Irak qu’ils supportent seuls depuis près de quatre ans que les demandes de retrait unilatéral se font de plus en plus pressantes. Mais, dans la conjoncture actuelle, le retrait n’est nullement une option. Plus que jamais, la présence de forces américaines est indispensable. Elle n’est ni un cadeau ni une récompense accordée au gouvernement irakien. Elle répond, au contraire, à l’intérêt national des États-Unis qui doivent tout faire pour empêcher que l’impérialisme et le fondamentalisme iraniens ne dominent une région dont dépend l’approvisionnement des démocraties industrielles en énergie.

Un départ brutal rendrait encore plus difficile le travail accompli par les États-Unis pour repousser la déferlante terroriste loin de l’Irak. Les fragiles États de la région, du Liban au golfe Persique, seraient tentés de faire des concessions à titre préventif et pour se prémunir contre la menace iranienne. Quant aux conflits communautaires en Irak, ils pourraient prendre une ampleur génocidaire. Un retrait échelonné n’atténuerait pas non plus ces dangers tant qu’une stratégie différente n’aura pas fait ses preuves. Désormais, il faudra prendre en compte la situation non seulement en Irak mais dans l’ensemble de la région avant d’envisager un retrait total. La décision du président George W. Bush d’envoyer 21 500 hommes supplémentaires en Irak devrait donc être considérée comme le premier pas d’une nouvelle et grande stratégie pour le Moyen-Orient, mobilisant les moyens de la puissance militaire et ceux de la diplomatie, et qui pourrait alors bénéficier du soutien des démocrates et des républicains.
L’objectif serait de montrer que l’Amérique est toujours déterminée à jouer son rôle dans la région, à adapter les déploiements et les effectifs de l’armée américaine aux nouvelles réalités du terrain, et donner la marge de manuvre nécessaire à une vaste offensive diplomatique destinée à stabiliser la région.
Concernant les problèmes de sécurité qui se posent aujourd’hui en Irak – intervention de pays tiers, présence de combattants d’al-Qaïda, criminalité à grande échelle, conflits communautaires -, l’élimination des deux premiers relève de l’intérêt national américain. En revanche, les États-Unis ne doivent pas s’impliquer dans les conflits communautaires, encore moins se laisser manipuler par l’une ou l’autre des parties. Les conflits communautaires réduisent aujourd’hui l’autorité du gouvernement irakien à la Zone verte, le secteur de Bagdad protégé par les forces américaines. Dans beaucoup d’autres secteurs, les milices sont plus fortes que l’armée irakienne. Si leur influence pouvait être éliminée – ou, à tout le moins, sérieusement réduite -, le gouvernement de Bagdad serait mieux à même de mener une politique vraiment nationale.

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Parallèlement au désarmement systématique des milices et des escadrons de la mort sunnites, le gouvernement doit faire preuve de la même détermination avec les milices et les escadrons de la mort chiites. La politique américaine ne doit jamais s’écarter de son objectif, à savoir restaurer un État de droit où tous les citoyens auraient leur place. Au fur et à mesure que la nouvelle stratégie sera appliquée, les forces américaines devront être retirées des villes et repositionnées dans des enclaves, ce qui permettrait aux soldats de s’éloigner de la guerre civile et de se concentrer sur les menaces décrites plus haut. Leur mission principale devrait être de surveiller les frontières pour interdire les infiltrations, d’empêcher les terroristes d’organiser des camps d’entraînement et de tout faire pour que de vastes territoires ne tombent pas sous le coup des talibans locaux. C’est lorsque cette tâche sera accomplie qu’une réduction significative des forces américaines sera possible. Avec une telle stratégie, les retraits dépendraient de la situation sur le terrain, plutôt que de toute autre considération. On aura, en outre, le délai nécessaire pour mettre en uvre une action diplomatique dans la perspective d’une refonte de toute la région, dans laquelle le règlement de la question palestinienne trouverait sa place.

Il y a peu de défis diplomatiques aussi complexes que ceux que pose l’Irak. On doit assurer la médiation entre les communautés irakiennes, qui sont à bien des égards des ennemis mortels, mais qui sont représentées dans le même gouvernement. On doit en même temps situer l’effort de conciliation dans un cadre international impliquant à la fois les voisins de l’Irak et des pays plus éloignés intéressés par la recherche d’une solution.
L’action diplomatique doit s’orienter dans deux directions :
– création d’un groupe de contact rassemblant les pays voisins de l’Irak dont les intérêts sont directement affectés par la crise et qui gardent confiance dans le soutien américain. Ce groupe devrait inclure la Turquie, l’Arabie saoudite, l’Égypte et la Jordanie. Son rôle serait de proposer des solutions pour mettre fin au conflit irakien et constituer un front uni contre toute tentative de domination extérieure ;
– des négociations parallèles devraient être menées avec la Syrie et l’Iran, qui font désormais figure d’adversaires, pour leur donner la possibilité de participer à un ordre régional pacifique.
Ces deux consultations devraient déboucher sur une conférence internationale à laquelle participeraient tous les pays pouvant jouer un rôle stabilisateur au moment de la mise en place du plan de paix final, en particulier les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et des pays comme l’Indonésie, l’Inde et le Pakistan.

Un équilibre entre les risques et les possibilités doit être établi pour obliger l’Iran à choisir entre deux politiques : soit jouer un rôle important mais non dominant dans la solution de la crise, soit devenir la tête de proue du fondamentalisme chiite. Au cas où il choisirait la seconde option, il faudrait lui faire payer le prix fort et ne pas se contenter de menaces verbales.
En effet, les États-Unis ne peuvent pas assumer indéfiniment et seuls à la fois le fardeau de l’action militaire et celui de l’organisation politique de la région. L’Irak doit redevenir un membre de la communauté internationale, et d’autres pays se préparer à partager les responsabilités de la paix régionale. Certains alliés des États-Unis, ainsi que d’autres pays concernés par la crise irakienne, cherchent à échapper à ces difficultés en prenant leurs distances avec l’Amérique. Mais de même qu’il est impossible à l’Amérique de gérer unilatéralement tous ces problèmes, de même un effort commun sera tôt ou tard imposé à tous les intéressés pour reconstruire l’ordre international.

*Ancien secrétaire d’État américain, Prix Nobel de la paix 1973.

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