Des suicides bien suspects

Publié le 11 mars 2007 Lecture : 2 minutes.

Lorsque, le 10 juin 2006, le Pentagone a annoncé le suicide d’un Yéménite et de deux Saoudiens détenus à Guantánamo, nombre d’observateurs n’ont pas caché leur scepticisme : le suicide n’est-il pas interdit par l’islam ? Or les trois hommes étaient des musulmans pratiquants Ces doutes prennent aujourd’hui quelque consistance.
Les résultats d’une autopsie pratiquée sur le corps du Yéménite, Ahmed Ali Abdullah, par le Pr Patrice Mangin, de l’Institut universitaire de médecine légale de Lausanne (Suisse), ont été rendus publics le 2 mars. Ils sont pour le moins troublants. « Il y avait les traces d’un sillon au niveau du cou, révèle le professeur. Des ecchymoses sur le dos de la main droite peuvent faire penser à des ponctions par voie veineuse. Il y avait aussi des lésions des dents et de la bouche. Et, chose incompréhensible, les ongles des mains et des orteils étaient coupés à ras. Par ailleurs, il manquait les organes des régions du pharynx, du larynx et de la trachée. Or ce sont les plus importants à examiner en cas de pendaison. » Conclusion ? « Une chose est certaine : il y a eu asphyxie. La thèse du suicide est possible, mais ce n’est pas la seule. Trop d’informations nous manquent pour faire des déductions définitives. Comment ont été découverts les corps ? Quels sont les moyens de la pendaison ? Et, surtout, dans quel état sont les organes manquants ? » L’institut suisse a donc adressé un courrier aux autorités américaines pour demander à examiner lesdits organes, mais également à prendre connaissance des résultats de la première autopsie pratiquée en prison. Il n’a pas reçu de réponse. Le médecin saoudien qui a examiné les corps sans vie de ses deux compatriotes a fait la même demande, sans plus de succès.
D’autres éléments fragilisent un peu plus la thèse du suicide. Des membres d’Alkarama for Human Rights, une ONG de défense des droits de l’homme basée à Genève, ont ainsi parcouru le monde pour interroger d’anciens détenus de Guantánamo. Tous les témoignages concordent : il est matériellement impossible de se donner la mort dans le camp, en raison des tournées incessantes des gardiens (toutes les cinq minutes) et de l’existence d’un système de vidéosurveillance qui fonctionne en permanence. En outre, rien dans les cellules ne permet d’attacher une corde. Si un détenu refuse de s’alimenter, on lui inocule de force des substances nutritives, par voie intraveineuse.
Selon toute apparence, l’explication des décès de juin 2006 est donc ailleurs. Une semaine avant le drame, racontent d’anciens détenus, des affrontements ont eu lieu entre prisonniers et gardiens. Les trois victimes étaient considérées par les autorités carcérales comme les meneurs de la révolte. Ont-ils été mortellement « corrigés » ? Pourquoi leurs ongles ont-ils été coupés ras ? Pour dissimuler les traces d’ADN de leurs éventuels agresseurs ? Les familles des victimes ont décidé d’engager une procédure judiciaire, aux États-Unis.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires