Les conséquences du désastre annoncé

Publié le 10 décembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Personne ne peut nier sérieusement qu’une défaite stratégique des États-Unis en Irak et en Afghanistan est aujourd’hui possible. Ce ne serait peut-être pas une défaite au sens classique d’une déroute militaire, mais ce serait certainement une incapacité à atteindre les objectifs annoncés.
Ni l’Irak ni l’Afghanistan ne sont en train de devenir les démocraties stables, prospères, pro-occidentales dont Washington rêvait lorsqu’il a envahi ces deux pays. L’Irak a sombré dans un chaos sanglant. Le gouvernement n’y contrôle guère que la Zone verte hyperfortifiée de Bagdad. En Afghanistan, les combattants talibans ont repris du poil de la bête dans le Sud et tiennent la dragée haute à l’Otan. Ils semblent même se préparer à attaquer Kaboul au printemps. Bref, deux clients américains essentiels – le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki et le président afghan Hamid Karzaï – sont dans une situation catastrophique. Ils ne peuvent pas tenir sans un soutien militaire américain, et ce soutien commence à faire défaut.
En Irak, l’administration Bush espère réduire le nombre de ses soldats l’année prochaine en poussant l’entraînement et en renforçant l’équipement de la nouvelle armée irakienne. Le problème est que même avec une aide américaine massive, cette armée est loin d’être capable de mater l’insurrection ainsi que les puissantes milices communautaires.
Dans le sud de l’Afghanistan, les forces de l’Otan – composées de troupes américaines, britanniques et néerlandaises – ont le plus grand mal à persuader d’autres membres de l’Otan de se joindre à elles. La France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ont des contingents dans le Nord et l’Ouest, qui sont relativement tranquilles, ainsi que dans la région de Kaboul, mais, comme il est apparu clairement au sommet de l’Otan qui s’est tenu l’autre semaine à Riga, en Lettonie, elles n’ont aucune envie d’envoyer leurs troupes dans le Sud, où elles seraient très exposées. Il est politiquement difficile, sinon impossible, à des dirigeants occidentaux d’engager des troupes dans une guerre qui, selon beaucoup d’observateurs, ne peut être gagnée. La principale difficulté pour les États-Unis et l’Otan est que les talibans du sud et de l’est de l’Afghanistan bénéficient de la « profondeur stratégique » que leur donnent les sept zones tribales pakistanaises qui bordent la frontière afghane et qui sont pratiquement impénétrables et imprenables. Ces régions tribales montagneuses, notamment le Waziristan du Nord et du Sud, offrent un refuge parfaitement sûr aux talibans et constituent un réservoir inépuisable de recrues.
Quelles seront les conséquences d’une défaite en Irak et en Afghanistan ? En Irak, une guerre civile totale entre sunnites et chiites rend possible un conflit communautaire au-delà des frontières de l’Irak jusqu’aux fragiles États du Golfe. Ce qui pourrait accroître la tension entre l’Arabie saoudite et l’Iran, et éventuellement entraîner leur intervention en Irak.
Une deuxième conséquence désastreuse de la défaite serait de fournir à al-Qaïda une base à la fois en Irak et en Afghanistan à partir de laquelle elle pourrait lancer un djihad redoutable non seulement contre les intérêts occidentaux, mais aussi – et surtout – contre les régimes de Riyad, d’Amman et du Caire.
Troisième conséquence possible d’une victoire des talibans en Afghanistan : un affrontement pour une prise de contrôle du pays entre le Pakistan et l’Inde, d’un côté, l’Iran et la Russie de l’autre. Comme les uns et les autres auraient des alliés sur place, le résultat pourrait être une guerre civile entre Pachtouns au Sud, et Tadjiks et Ouzbeks au Nord.
Une quatrième, et encore plus grave conséquence d’une défaite, serait une perte d’autorité et de crédibilité pour les États-Unis et pour l’Otan. Les États-Unis, en particulier, doivent chercher des solutions politiques plutôt que militaires aux conflits irakien et afghan, et, dans cette perspective, doivent rechercher l’aide de pays comme la Syrie et l’Iran, qu’ils ont jusqu’ici essayé d’isoler.
Que peut-on faire pour écarter ces graves menaces ? Les voisins de l’Irak et de l’Afghanistan devraient s’impliquer davantage pour protéger leurs intérêts vitaux, plutôt que de s’en remettre à la puissance militaire occidentale, et plus particulièrement américaine. De fait, il est très probable que la présence militaire occidentale en Irak et en Afghanistan aggrave la situation plutôt qu’elle ne l’améliore. Au lieu de la stabiliser, elle souffle sur les braises.
Il semble clair que la guerre en Irak exige un règlement régional, c’est-à-dire un règlement auquel tous les voisins de l’Irak – Turquie, Iran, Koweït, Arabie saoudite, Syrie et Jordanie – participent à leur manière et au mieux de leurs possibilités. Ils ont tous un intérêt capital à ce qu’il y ait un Irak stable, unitaire et pacifique.
Il faut prendre d’urgence une initiative diplomatique – peut-être sous la forme d’une conférence régionale – au cours de laquelle les voisins de l’Irak, sans interférence étrangère, se mettraient d’accord sur une formule de partage de pouvoir concernant l’Irak, avant d’user de leur influence pour persuader les combattants de l’accepter. Mais ce serait loin d’être suffisant. Il faudrait également que les États du Golfe et l’Iran négocient un pacte de sécurité qui les protège des retombées de l’Irak. L’Arabie saoudite et le Pakistan, qui, dans les années 1980, avaient mobilisé les rebelles afghans contre l’armée soviétique, devraient utiliser les mêmes armes financières et les mêmes services de renseignements pour mettre au pas les talibans. En un mot, les puissances locales devraient prendre une plus grande part de responsabilité dans la sécurité régionale et permettre aux soldats américains de rentrer chez eux.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires