C’est la faute aux politiques

Publié le 10 décembre 2006 Lecture : 3 minutes.

La Nuit des politiques* est riche en chiffres et en analyses. Son auteur, Roland Cayrol, dirige le CSA, l’un des principaux instituts de sondages français. Très peu porté sur l’emballage de yaourts, il se passionne pour le monde politique, auquel il a déjà consacré plusieurs essais et fictions. Alors que l’élection présidentielle approche, Cayrol se demande pourquoi les Français n’aiment plus leurs hommes politiques.
Parce qu’ils les jugent trop différents, répond le sondeur. « Lorsqu’on rencontre un homme politique dans une réunion, son comportement n’est pas celui des autres participants.Il arrive en retard, lit – sans savoir ce qui s’est dit avant son arrivée – un discours préparé, serre des mains, puis repart comme il est venu, avant la fin. Malaise dans l’assistance. [] Les décideurs politiques semblent ne pas savoir travailler. Le ministre n’a pas le temps de réfléchir, il suit en aveugle l’agenda préparé par son cabinet. [] Ajoutons le téléphone portable : nombre de dirigeants importants communiquent volontiers leur numéro et passent l’essentiel de leurs journées au bout du fil. » Et Cayrol d’évoquer une réunion de trois heures pendant laquelle Nicolas Sarkozy passa deux heures et demie au téléphone « Imagine-t-on un chef d’entreprise, un médecin, un enseignant qui travaillerait de la sorte ? » Non, évidemment. Selon l’auteur, ce comportement bizarre est la conséquence de deux maux souvent dénoncés par les électeurs : absentéisme et cumul des mandats. C’est parce qu’on lui reproche ses absences que l’élu tente d’être partout à la fois ; et c’est parce qu’il cumule les mandats qu’il ne réussit pas à être partout à la fois et qu’il est accusé d’absentéisme, ce qui décuple sa hargne d’être partout. Cercle vicieux !
Optimiste, Cayrol veut croire que les Français aiment toujours la politique, à défaut d’apprécier ses grands prêtres. La preuve ? Le fourmillement associatif – l’association à but non lucratif est un bon juge de la solidarité démocratique – est plus fort que jamais. « Sait-on que, dans ce pays, il n’y a jamais eu autant d’associations, jamais eu autant d’adhérents [] et, chaque jour, chaque soir, autant de réunions de membres d’associations ? [] Demandez aux Français à qui ils font le plus confiance. Invariablement, la réponse est : aux associations. Les mots les plus utilisés pour décrire le monde associatif sont : utilité, efficacité, honnêteté, démocratie. Tout ce qui manque au monde politique ! » Non, dit Cayrol, ce ne sont pas les Français qui sont rétifs au changement, comme le prétendent les politiques. Au contraire, la ferveur associative prouve, selon lui, qu’ils ont envie que les choses bougent, puisqu’ils recherchent de « nouvelles règles du jeu de la vie en société » à travers leur engagement personnel
Plusieurs fois, Cayrol évoque l’homme politique idéal, celui qui réconciliera sa profession avec l’électorat. Ce sauveur devra avoir le courage d’agir. « Par peur d’affronter des citoyens qui en savent beaucoup plus qu’ils ne croient, nos décideurs renoncent à gouverner. Par manque de courage, ils fuient leurs responsabilités pour ne pas encourir une sanction électorale. Mais comment ne voient-ils pas que c’est le contraire qu’il faut faire ! Margaret Thatcher et Tony Blair n’ont pas pris des gants de couards et ont dit des vérités. Bilan : trois mandats successifs pour Thatcher et trois mandats successifs pour Blair ! » Autre forme d’audace, le nouveau politique devra cesser de dramatiser, de brouiller les cartes, pour au contraire tenir un discours précis : « Arrêtez de présenter une photo de nous si grise, d’un pays où nous serions incapables de nous adapter [disent les électeurs]. Et arrêtez de nous présenter en même temps une photo floue de l’avenir et de nous affirmer qu’elle représente notre avenir obligatoire. Présentez-nous plutôt le film . Quel est le scénario qui nous attend, non pas dans vingt ans mais pour les années qui viennent, là, maintenant ? ».
Enfin, l’homme politique du XXIe siècle aura le droit d’utiliser les sondages, mais ne devra pas « confondre le tableau de bord [les sondages] et le volant [son action] ». À l’aide des enquêtes d’opinion, « ce dernier [pourra] conduire son action en sachant sont les risques, quelle vitesse est admissible pour le changement, quelle fraction de la population est acquise – ou non – et quels arguments convaincront les indécis ». Belle indulgence Les instituts produisent des sondages et rien que des sondages. Si les démagogues les transforment en programme gouvernemental, ce n’est vraiment la faute ni du sondeur ni du sondé mais du politique. Toujours lui.

* La Nuit des politiques de Roland Cayrol, Hachette, 168 p., 9 euros.

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