Notre ami Saddam Hussein
En 1983, le président Ronald Reagan a envoyé une mission en Irak, alors que la guerre d’usure menée contre son voisin iranien était dans sa troisième année. Bien que l’Irak ait pris l’initiative de cette guerre en 1980, le sort de la bataille avait tourné depuis 1982 en faveur de l’Iran, plus grand, et l’administration Reagan craignait que l’Irak ne puisse être battu.
Le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, dont Reagan avait fait son émissaire, a rendu visite à Saddam Hussein en décembre 1983 et mars 1984. Malheureusement pour lui, l’Irak avait commencé à utiliser des armes chimiques contre l’Iran en novembre 1983. C’était la première utilisation massive d’armes de ce type depuis qu’un traité de 1925 en avait interdit l’usage.
Rumsfeld n’a jamais fait mention de cette violation flagrante des règles internationales auprès de Saddam, préférant se concentrer sur leur commune hostilité contre l’Iran et sur un oléoduc traversant la Jordanie. Il semble qu’il en ait parlé à Tarek Aziz, le ministre des Affaires étrangères irakien, mais sans soulever le problème en présence du grand patron, il indiquait que de bonnes relations étaient, aux yeux des États-Unis, plus importantes que l’usage de gaz chimiques.
Ce message a été renforcé par le comportement des États-Unis après les missions de Rumsfeld. L’administration Reagan a accordé à Saddam des crédits qui ont fini par faire de l’Irak le troisième bénéficiaire de l’aide américaine. Elle a normalisé les relations diplomatiques entre les deux pays et, plus significativement encore, a transmis à l’Irak des renseignements militaires. L’Irak les a exploités pour bombarder l’armée iranienne avec des armes chimiques. Et quand l’Irak a retourné ses armes chimiques contre les Kurdes en 1988, tuant 5 000 personnes dans la ville de Halabja, l’administration Reagan a cherché à masquer les responsabilités en tentant de faire croire que l’Iran était lui aussi responsable du massacre.
Le 25 août 1988 – cinq jours après la fin de la guerre Iran-Irak, l’Irak a attaqué quarante-huit villages kurdes. Dans les jours qui ont suivi, le Sénat américain a adopté un projet de loi, présenté par le sénateur démocrate du Rhode Island, Clairbone Pell, qui supprimait l’aide américaine à Saddam et imposait des sanctions commerciales.
Pour augmenter les chances de faire promulguer cette loi par Reagan, Pell m’a envoyé dans l’est de la Turquie pour interroger des survivants kurdes qui avaient fui l’Irak. Au vu de la tournure des événements, l’administration Reagan a reconnu que l’Irak avait gazé les Kurdes, mais s’est fortement opposée à l’application de sanctions, et même à la suppression des aides. La loi Pell a été enterrée à la fin de la session du Congrès de 1988.
L’année suivante, l’administration Bush père a doublé les crédits alloués à l’Irak. Une semaine avant que Saddam envahisse le Koweït, elle s’est elle aussi violemment opposée à un projet de loi qui aurait mis comme condition à l’aide américaine que l’Irak n’utilise plus d’armes chimiques et qu’il mette un terme au génocide kurde.
À l’époque, l’actuel vice-président Dick Cheney était secrétaire à la Défense et membre du Conseil national de sécurité, qui suivait les affaires irakiennes. Tous les témoignages confirment qu’il y soutenait la politique d’apaisement des États-Unis vis-à-vis de Saddam.
En 2003, Cheney, le secrétaire d’État Colin Powell et Rumsfeld ont tous justifié la guerre en invoquant l’utilisation par l’Irak d’armes chimiques. Mais, quinze ans plus tôt, lorsque Saddam gazait son propre peuple, les mêmes considéraient l’usage de ces armes comme un problème de second ordre.
Les administrations Reagan et Bush père croyaient que Saddam pourrait être un partenaire stratégique des États-Unis, un contrepoids à l’Iran, une force de modération dans la région et un appui possible dans le processus de paix israélo-arabe. C’était, bien sûr, une illusion. Un dictateur sans pitié qui montait une attaque contre son voisin l’Iran, qui utilisait des armes chimiques et qui commettait un génocide contre ses compatriotes kurdes n’a pas le profil du parfait allié des États-Unis.
Saddam, ayant vu que les États-Unis fermaient les yeux sur ses crimes de guerre contre l’Iran et sur le génocide des Kurdes, en a conclu qu’il pouvait impunément envahir le Koweït. Cette erreur lui a coûté cher, ainsi qu’à son pays, et même finalement aux États-Unis, dont la plus grande partie de l’armée est enlisée dans le bourbier irakien.
Cependant, les architectes de la politique d’apaisement d’hier entretiennent aujourd’hui l’illusion qu’ils sont sur le chemin de la victoire. Si seulement ceux qui les critiquent voulaient bien se taire
* Ancien ambassadeur des États-Unis en Croatie, est l’auteur de La Fin de l’Irak : comment l’incompétence américaine a créé une guerre sans fin.
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