Dans l’antre de l’« ennemi »

Publié le 10 septembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Coup de théâtre ! Seif el-Islam annonce vouloir nous recevoir à Tripoli. La Fondation Kadhafi tient à nous offrir le voyage. Nous déclinons l’offre poliment. Le 12 juillet, départ à 4 heures du matin de Roissy. Une fois dans l’avion, nous sommes fébriles. « Enfin ! C’est parti ! » À Rome, nous prenons la correspondance pour Tripoli. [] L’avion se pose à Tripoli vers midi. L’ambassadeur (Jean-Jacques Beaussou) nous accueille au pied de l’avion. Avant de nous conduire à sa résidence, il nous emmène déjeuner au Corinthia, l’un des hôtels les plus fameux de la capitale. Nous mangeons face à la Méditerranée, que découvre l’immense baie vitrée du restaurant
En attendant que nos interlocuteurs se manifestent, nous affûtons nos arguments. Aux alentours de 18 heures, l’intendant nous annonce l’arrivée de visiteurs. « Enfin, me dis-je, ça commence. » Mais je suis un peu déçu : les deux hommes ne se présentent pas et ont une tenue plutôt décontractée. « Avant toute chose, nous aimerions que vous inscriviez vos noms, professions et adresses sur un papier. Dès que ce document sera prêt, vous nous préviendrez à ce numéro et nous viendrons le chercher. » Quelques minutes plus tard, nous les rappelons. « Merci, quelqu’un passera prendre l’enveloppe demain matin. » À ce rythme-là, on n’en a pas fini Le lendemain vers 11 heures, une voiture vient en effet la récupérer.
[] Toute la journée n’est qu’une longue et désespérante attente où j’enchaîne thé à la menthe sur thé à la menthe en regardant ma montre toutes les trente secondes. Vers 19 heures, l’heure du dîner approche. Toujours rien. Le silence de la Fondation Kadhafi commence vraiment à me stresser. Nous passons à table aux environs de 21 heures quand le téléphone retentit. « Une communication pour Monsieur Denoix de Saint Marc » Je me précipite sur le combiné. En anglais, un homme m’annonce qu’une voiture va venir nous prendre dans dix minutes [].
Une grosse BMW attend à la porte de la résidence. Le chauffeur nous invite à monter. Nous traversons Tripoli à vive allure, atteignons les limites de la ville, là où commence le désert, et nous engageons sur une autoroute. Les lumières de la capitale libyenne disparaissent derrière nous. Au bout d’un certain temps, la voiture s’arrête puis, sans se soucier de celles qui pourraient arriver en sens inverse, traverse les six voies. Nous nous retrouvons face à un 4×4 à l’arrêt et quelques soldats. Le véhicule, un pick-up Toyota équipé d’une mitrailleuse, surveille visiblement l’entrée d’un chemin. Notre voiture s’engage au pas dans ce sentier aménagé en plein désert, bordé de deux rangées de barbelés.
Après quelques kilomètres, la voiture s’immobilise. On a d’abord du mal à discerner quoi que ce soit de la masse sombre qui se dresse devant nous. Notre chauffeur fait un appel de phares et une lumière aveuglante jaillit soudain de deux énormes projecteurs placés en hauteur. Quelques hommes en tenue militaire s’approchent. Ils assurent très vraisemblablement la surveillance des lieux et portent des kalachnikovs en bandoulière.
Un large portail s’ouvre lentement. Notre véhicule roule au pas et s’engage dans une allée. Progressivement, la végétation apparaît. À mesure que nous roulons, l’idée que l’on se fait d’une oasis dans le désert prend forme sous nos yeux. La route s’ouvre sur un jardin qui nous semble, dans la nuit, vaste et luxuriant. Et là, inattendue, s’élève une villa de style années 1930 dont les fenêtres sont ornées de vitraux multicolores faiblement éclairés.
L’atmosphère est lourde. Nous avons un peu l’impression de nous être engagés dans l’antre de l’ennemi. Un jeune homme se dirige vers nous, habillé en jean et tee-shirt blanc. « Welcome in my home ! » nous dit Seif el-Islam tandis que nous descendons de la voiture.
Nous le suivons à travers le jardin plongé dans l’obscurité. Il nous conduit vers un grand parasol blanc sous lequel, autour d’une table en teck, sont installés cinq ou six hommes. Nous prenons place.
[] Soudain, nous entendons des rugissements de fauves. J’interroge notre hôte : Ce sont des lions ? « Oh non ! Ce sont mes tigres et ils ont faim ! » ajoute-t-il, un peu narquois. « Je suis un amoureux des félins, j’ai fait construire une ménagerie derrière la maison. » Il propose de nous les montrer, ce qui nous aurait plu en d’autres circonstances, mais nous refusons, l’heure étant au travail et à rien d’autre

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires