Vers une redistribution des rôles

Candidat à la présidentielle de 2009 pour un cinquième et – théoriquement – dernier mandat de cinq ans, Ben Ali a déclenché, au congrès du parti au pouvoir, un processus qui devrait aboutir à de profonds changements, plus particulièrement au niveau des postes clés du système.

Publié le 10 août 2008 Lecture : 6 minutes.

Au congrès du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, au pouvoir) qui s’est tenu au Kram, près de Tunis, du 30 juillet au 2 août, le délégué lambda est arrivé avec deux questions simples en tête : le président Zine el-Abidine Ben Ali allait-il confirmer sa candidature à la présidentielle de 2009 pour un cinquième mandat de cinq ans ? Et quels changements allaient être opérés dans la distribution des rôles au sein du personnel politique ? Dès l’ouverture des assises, la réponse à la première question a été conforme à ses attentes : « Oui, je serai votre candidat à l’élection présidentielle de 2009. » La seconde question a, elle, reçu un début de réponse avec la composition du nouveau comité central, mais elle lui brûle toujours les lèvres.

Premier cercle

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Ben Ali, président du parti depuis vingt et un ans, a en effet esquissé une tendance. D’abord, une petite phrase anodine a été introduite dans l’article 26 du règlement intérieur du RCD. Elle limite à un seul le nombre de vice-présidents du parti, alors qu’ils étaient deux jusque-là. C’est, a-t-il dit, pour « parfaire la composition du bureau politique » du RCD, instance suprême de décision du parti au pouvoir. À cela s’ajoutent, toujours à son instigation, le renouvellement du comité central du RCD à plus de 77 % et son rajeunissement. « Ce congrès n’a pas été comme les autres, estime Abdallah Labidi, analyste politique et ancien diplomate, qui a suivi le congrès en tant qu’observateur. Il laisse augurer d’importantes décisions touchant à la fois aux institutions et au personnel politique, à tous les échelons de l’État et du RCD. L’avenir prendra la forme que lui donnera le président Ben Ali en tant qu’unique source de renouveau économique et social. » Les premiers changements attendus avant la rentrée politique concernent donc la désignation par Ben Ali du vice-président et du nouveau secrétaire général du RCD.
Jusqu’à ce jour, Hamed Karoui était le premier vice-président du RCD et le Premier ministre, Mohamed Ghannouchi, le second. Dans la hiérarchie protocolaire de l’État, le premier vice-président figure juste derrière le président de la République et devant le Premier ministre, le président de la Chambre des députés et celui de la Chambre des conseillers. Âgé de 81 ans, Karoui est affaibli depuis un triple pontage coronarien subi en octobre 2007. À ce poste, ce baron du parti, qui fut le Premier ministre de Ben Ali de 1989 à 1999, s’est contenté d’un rôle honorifique, ne rapportant qu’à de rares exceptions les avis du président du parti. En toute logique, c’est Mohamed Ghannouchi (66 ans) qui devrait lui succéder, comme il l’a fait en 1999 au poste de Premier ministre. Les signaux allant dans ce sens ne manquent pas. Ben Ali a nommé celui-ci vice-président du congrès pour le seconder dans la conduite des travaux. Grand commis de l’État, fidèle au président, connu pour sa maîtrise des dossiers économiques et sociaux, pondéré et réputé intègre, Ghannouchi personnifierait ainsi la continuité et la stabilité si chères à Ben Ali. Mais rien n’est encore joué. Le président dispose aussi, dans l’équipe qui le suit depuis vingt et un ans, pour ce poste comme pour d’autres, de nombreuses pointures politiques qui lui sont proches, notamment Abdelaziz Ben Dhia (72 ans) et Abdallah Kallel (64 ans). Professeur universitaire spécialisé en droit, plusieurs fois ministre, Ben Dhia passe pour être « l’ingénieur politique » du système Ben Ali. Il a été secrétaire général du RCD avant de s’installer au palais présidentiel en tant qu’unique superministre du gouvernement avec le titre de ministre d’État, conseiller spécial auprès du président de la République et porte-parole officiel de la présidence de la République. S’il quitte géographiquement le palais présidentiel de Carthage, Ben Dhia retrouverait à la Maison de verre de l’avenue Mohammed-V un poste tout aussi stratégique, à un peu plus d’un an des élections générales d’octobre ou novembre 2009. Le nom d’Abdallah Kallel, ancien ministre de l’Intérieur et actuel président de la Chambre des conseillers (Sénat), qui paraissait « gonflé à bloc » par les encouragements présidentiels lors du congrès, est cité pour mener à bien la reprise en main du parti, notamment sa direction permanente, qui, de l’avis des militants du RCD, n’a globalement pas été à la hauteur de sa mission à la tête de ce parti de masses au cours des dernières années.

« Ministres politiques »

Les effets en chaîne attendus sur l’échiquier politique tels qu’ils se dégagent des signaux du congrès devraient confirmer la montée des uns et le départ des autres. Parmi ceux qui paraissent avoir le vent en poupe figurent plusieurs ministres qui ont été maintenus au sein du comité central du RCD et qui ont joué un rôle politique notable au sein du congrès ou autour. C’est notamment le cas d’Abdelwahab Abdallah (ministre des Affaires étrangères), Kamel Morjane (Défense), Béchir Tekkari (Justice), Ridha Grira (Domaines de l’État et des Affaires foncières), Mondher Zenaidi (Santé) et Hatem Ben Salem (secrétaire d’État aux Affaires étrangères). À ce groupe de « ministres politiques » qui montent, il faut ajouter le cas particulier de Taoufik Baccar, gouverneur de la Banque centrale. Exception notable, la ministre de l’Équipement, Samira Khayach Belhaj, n’a pas été reconduite au sein du comité central, ce qui, dit-on, laisse présager son départ.
Mais ne pas entrer au comité central n’est pas pour autant synonyme de mise à l’écart. Pour prémunir la plupart des ministres à la tête de départements à caractère économique contre des tentations politiciennes, Ben Ali semble avoir volontairement choisi de les maintenir en dehors de cette instance du parti pour qu’ils se consacrent à leurs chantiers. C’est même perçu comme une confirmation pour la plupart d’entre eux, comme Afif Chelbi (Industrie et Énergie), Nouri Jouini (Développement économique) et Mohamed Rachid Kechich (Finances), qui n’ont d’ailleurs, contrairement à ce qu’ont écrit certains médias tunisiens, jamais fait partie du comité central.

Place aux jeunes

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Passée quasiment inaperçue, et pourtant sans précédent, est l’entrée – symbolique, mais qui peut enrichir le référentiel économique du parti – au sein du comité central de chefs d’entreprise célèbres désignés par Ben Ali, notamment Abdelwahab Ben Ayed (groupe Poulina Holding), Moncef Mzabi (Groupe Artès), Belhassen Trabelsi (Groupe Karthago), Aziz Miled (Groupe TTS et Nouvelair), Rachid Ben Yedder (Amen Bank), Hamadi Bousbia (SFBT) et Abdelkader Hamrouni (Goupe Hamrouni). Ils rejoignent ainsi Hédi Jilani, le patron des patrons, et Ali Slama (Groupe Slama).
À moyen terme, le personnel politique en place devrait par ailleurs se retrouver sous forte pression avec l’arrivée en force de jeunes cadres. En effet, c’est à un véritable coup de balai dans la composition du comité central que l’on a assisté. Selon Abdelwahab Abdallah, porte-parole du congrès, le taux de renouvellement est de plus de 77 %. Selon nos informations, ce taux est plus important au niveau des élus des régions, avec des taux de renouvellement atteignant parfois 100 %, mais il est également significatif dans la liste d’une centaine de personnalités désignées par Ben Ali. Ce renouvellement est caractérisé par un rajeunissement et une féminisation préconisés par le chef de l’État. Le rajeunissement a été rendu possible avec le rajout obligatoire d’un jeune et d’une jeune de moins de 30 ans à la liste des délégués de chacune des divisions géographiques (une trentaine de comités de coordination en Tunisie et à l’étranger), ce qui porte à 26 % la part des jeunes âgés de moins de 30 ans et à 38 % celle des femmes. On assisterait donc, bien que les autorités en minimisent l’importance, à l’arrivée dans le paysage politique de jeunes plus ouverts d’esprit (ce qui ne veut pas forcément dire des libéraux) et au départ accéléré de nombreux caciques formés à l’école du parti unique.

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