Au secours, la dette revient !
Pour un Occident au bord de la faillite, le faible endettement de la plupart des pays africains est enviable. Pourtant, plusieurs institutions et spécialistes tirent déjà la sonnette d’alarme. Prématurément ?
Après une cure drastique, l’endettement du continent est au plus bas : les annulations de dette ont permis de réduire de 90 % l’engagement extérieur des pays africains depuis le début de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), en 1996. Un nouveau paradigme qui n’a pas échappé à leurs gouvernements. Depuis 2009, année où l’endettement a atteint un plancher historique, ceux-ci ont eu massivement recours aux marchés régionaux et internationaux. Notamment pour mener des politiques de relance – un phénomène inédit -, alors que la conjoncture internationale pesait fortement sur leurs performances économiques.
La Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Sénégal, le Tchad, le Burkina Faso, le Bénin et le Gabon sont autant d’exemples qui illustrent cette tendance. La Zambie a plus particulièrement fait parler d’elle en levant 750 millions de dollars (583 millions d’euros) en septembre 2012. Ces émissions obligataires, très rémunératrices et jugées sans risque, sont appréciées des investisseurs. Ainsi, l’émission zambienne a été sursouscrite quinze fois, tandis que le dernier emprunt de la Côte d’Ivoire a été dépassé de près de 50 %. Il n’en faut pas plus pour soulever les inquiétudes des observateurs.
Vanessa Jacquelain : « Les États doivent bien calibrer leurs émissions »
Chargée de l’Afrique subsaharienne à l’Agence française de développement (AFD), Vanessa Jacquelain a coécrit un rapport intitulé « Vers un endettement plus soutenable ? ». Sans être alarmiste, elle expose les risques liés aux émissions de dette.
Jeune Afrique : Que pensez-vous du recours de plus en plus fréquent des États d’Afrique francophone aux marchés financiers régionaux ?
Vanessa Jacquelain : Ce type d’opération présente plusieurs avantages. Cela permet de mobiliser rapidement des fonds, d’approfondir les marchés financiers locaux et de constituer des benchmarks…
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Lire également l’inerview de Michèle Lamarche : « La situation de la dette n’est en rien comparable à celle des années 1980 »
Péché originel
En janvier, l’Agence française de développement (AFD) a été parmi les premiers à tirer la sonnette d’alarme (lire interview ci-contre), et la littérature consacrée au rythme inquiétant du réendettement de l’Afrique s’est multipliée : Bloomberg Businessweek et le Financial Times s’en sont fait l’écho dans leurs colonnes, évoquant le risque d’un retour au « péché originel ».
En Afrique francophone, le Sénégal (cf. encadré) constitue la première alerte : depuis 2006, son endettement est passé de 23 % à un peu plus de 41,5 % du PIB. La Côte d’Ivoire, en dépit du franchissement du point d’achèvement de l’Initiative PPTE en 2012, est elle aussi confrontée à des tensions récurrentes sur son financement. Une situation due, selon Michèle Lamarche, associée gérante de la banque d’affaires Lazard, à l’ampleur de sa dette bancaire intérieure qui nécessite d’être refinancée régulièrement.
Mauvais procès
Aujourd’hui, certains bailleurs de fonds mettent en cause le recours aux marchés par les États africains. Une solution plus coûteuse, surtout pour des pays à l’équilibre budgétaire fragile. « Les bailleurs de fonds prêtent à des taux dits concessionnels, très faibles, mais cet argent prend beaucoup de temps pour être débloqué et nécessite de se soumettre à un programme de suivi », souligne Christian Esters, analyste chez Standard & Poor’s, qui ajoute : « Le recours aux marchés régionaux semble de plus en plus apprécié, notamment pour sa rapidité, mais les taux d’intérêt pratiqués sont élevés. Enfin, les marchés internationaux proposent des taux parfois plus intéressants, mais le risque de change peut peser très fortement sur les débiteurs [lorsque la dette est libellée en dollars et que la monnaie locale s’effondre, un problème qui n’affecte pas la zone franc CFA, arrimée à l’euro, NDLR]. »
Quand l’histoire bégaie
Dans leur ouvrage This Time Is Different, paru en 2008, les chercheurs américains Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff observent que, au cours du processus d’émergence économique, les États sont tout particulièrement susceptibles de subir des crises de dette souveraine. Et soulignent le caractère quasi inéluctable du réendettement, d’où ce titre qui rappelle que tous ceux qui s’apprêtent à retomber dans la même ornière se rassurent en se disant que « cette fois, c’est différent ». En analysant huit cents ans d’histoire économique, les auteurs affirment que les pays qui ont fait défaut une fois tendent à recommencer de façon répétée par la suite. Ainsi, en Afrique, les faibles taux des années 1970 n’ont pas empêché le déclenchement de crises souveraines au cours des années 1980. N.T.
Selon un financier ouest-africain, les institutions intentent un « mauvais procès » aux pays du continent. « Finalement, elles maintiennent les États dans une logique de dépendance, constate-t-il. Remarquez que le Ghana, souvent cité comme un exemple à suivre en Afrique de l’Ouest, a financé sa croissance en faisant appel uniquement à l’épargne locale. Il faut faire en sorte que les États offrent des perspectives d’investissement à leurs citoyens. C’est d’autant plus important que l’État a un comportement plus responsable envers les petits épargnants qu’auprès des bailleurs. »
Comme l’explique Éhouman Kassi, directeur d’Ecobank Capital, qui conseille les levées de fonds régionales des États, « un taux d’intérêt de 8 % est soutenable dans la mesure où les fonds levés sont bien employés dans des infrastructures qui permettent de créer les conditions d’une croissance plus solide, des centrales électriques ou des routes, par exemple ». Naoufal Bensalah, responsable trading en Afrique centrale chez Attijariwafa Bank, se veut rassurant et juge que « cette évolution de l’endettement ne vient pas pour apaiser un déficit budgétaire des États africains, mais plutôt pour financer des projets structurants ».
Clairvoyance
Se pose également la question de la compétence des équipes gouvernementales chargées de lever la dette. Michèle Lamarche rappelle qu’une émission obligataire internationale est toujours une opération complexe, avec de nombreuses considérations juridiques, financières et techniques : « Les conséquences d’une opération mal structurée peuvent peser durablement et lourdement sur les finances publiques, qu’il s’agisse d’un coupon trop élevé ou de protections juridiques insuffisantes », prévient-elle. Les financiers qui souscrivent aux emprunts des États ont aussi leur part de responsabilité. « Il ne faut pas négliger la puissance narrative de l’histoire de la croissance africaine pour comprendre que parfois les taux de rendement ne semblent pas refléter tous les risques », conclut Christian Esters.
Le Sénégal au bord du gouffre
Entre 2006 et 2012, l’endettement du pays a presque triplé. Les nouvelles autorités tentent d’inverser la tendance.
La situation devenait urgente. Dès le lendemain de sa nomination, le 4 avril 2012, le ministre sénégalais de l’Économie et des Finances, Amadou Kane, était à Paris pour négocier un appui budgétaire. « Le gouvernement précédent nous avait prévenus que si nous arrivions au pouvoir, nous ne pourrions plus honorer les salaires au bout de quelques semaines », explique-t-il aujourd’hui.
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