Université tunisienne : comment sortir de la crise ?

Publié le 10 juillet 2005 Lecture : 4 minutes.

Depuis quelques mois, des enseignants universitaires, tous grades confondus, lancent des « messages » au ministère de l’Enseignement supérieur portant sur la réalité sociale, scientifique et institutionnelle de l’université tunisienne. Ces « messages » peuvent se résumer en une demande urgente de reprise en main (et en pensée) d’une réalité dégradée.
Le mouvement de grève administrative partielle – abstention de la remise des notes pour les trois premières années de l’enseignement -, précédé d’ailleurs par une journée de grève au milieu de l’année, a été observé par des enseignants dont la majorité n’a pas de passé syndical. Il s’agit là d’un appel du pied qui, s’il était interprété correctement, aurait débouché sur des débats, des solutions et des changements salutaires pour l’université.
Or ces « messages » n’ont pas été interprétés correctement par le département de tutelle. Le ministère aurait pu en tirer une meilleure compréhension de la vie de l’université, de ses forces vives et de ses inerties, que ne reflètent pas forcément les textes et les circulaires. Il aurait pu ainsi saisir les préoccupations du corps enseignant et, après analyse, établir des objectifs, stratégies et moyens d’action.
Au lieu de cela, l’administration a répondu par un dispositif musclé : lettres recommandées, questionnaires, entretiens individuels, constitution de commissions parallèles chargées de sanctionner, rétention du salaire du mois de juin…
Mais gère-t-on l’université, ce condensé d’intelligence, à coup de circulaires et de ficelles juridiques ? Le recours systématique à ces procédés présente des risques majeurs. Affamer les universitaires, ou leur faire peur, ne constitue pas une solution. Un champ social se construit mieux par la confiance et la valorisation de l’intelligence. On se souviendra longtemps du mot de Charles de Gaulle au lendemain de l’arrestation de Jean-Paul Sartre, lors des événements de 1968 en France : « On n’emprisonne pas Voltaire. » Cette fixation des limites du pouvoir a sauvé la légitimité de ce pouvoir.
Le recours à la loi dans une acception purement bureaucratique est un indicateur de fébrilité et un mode de fonctionnement complètement inadapté. On ne dirige pas la famille universitaire comme on dirige des enfants qui ont besoin de signes d’autorité pour être structurés.
En préférant se dissimuler derrière textes, bureaux hermétiques et réunions feutrées, l’administration a montré qu’elle n’a pas saisi la portée du message des universitaires ni intégré les changements à l’oeuvre dans l’université. S’il est tout à fait raisonnable pour elle de penser que les universitaires sont allés trop loin dans leurs revendications, notamment en bloquant la remise des notes des examens, il aurait mieux valu qu’elle cherche les causes de cette rupture du dialogue. On ne jette pas le bébé avec l’eau du bain.
Le ministère a raison d’être ferme et de ne pas transiger sur les examens. Mais il doit comprendre aussi que les examens ne constituent qu’un moment de la vie universitaire, qu’il y a un avant et un après qu’il faut aussi préserver. En faisant la grève, les universitaires ont voulu défendre leurs droits et améliorer leurs acquis. Ce n’est pas en s’attaquant à ceux-ci – notamment le salaire de fin de mois – que l’administration va pouvoir en finir avec un mouvement socioscientifique qui ne manque pas de légitimité.
Les solutions extrêmes sont un piège pour tout le monde. Il vaut mieux raison garder. Pour sanctionner les universitaires grévistes, le ministère aurait mieux fait de leur retirer la prime de rendement, en application du texte de la loi, que d’aller jusqu’à les priver d’un salaire dans les conditions socio-économiques actuelles. Pareille décision n’est pas seulement autoritaire ; elle est aussi injuste. D’abord parce que toutes les autres tâches (surveillances, préparations de sujets d’examens, soutenance de mémoire de maîtrise, masters, etc.), hormis les corrections, ont été accomplies par les universitaires. Ce travail ne mérite-t-il pas d’être rémunéré ?
N’entrons pas dans les querelles juridico-financières. Ce serait un piège pour tout le monde. Laissons de côté les menaces, les circulaires et les décisions à l’emporte-pièce. Les universitaires ne sont pas des « malfaiteurs », ils sont les bâtisseurs de la société de demain. Et Dieu sait tous les sacrifices et renoncements endurés par ce corps pour s’approprier la connaissance et la rendre un bien public. Essayons donc d’aller ensemble vers l’essentiel.
Qui est en train d’assurer les examens actuels ? Qui assurera la rentrée prochaine ? Et les examens à venir ? Qui encadrera les milliers d’étudiants qui vont affluer vers nos universités ? Ne vaut-il pas mieux réfléchir ensemble, afin de trouver des solutions et de faire jouer les trois « c » : confiance, compétence et communication ?

* Docteur en sciences de l’éducation, docteur d’État en psychologie, université de Tunis-1.

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